Pourquoi les musées d’anatomie ne sont pas des musées des horreurs ?

Cela fait plusieurs années maintenant que je fréquente les collections des musées d’anatomie tant pour les études, le travail ou le plaisir. Non pas par intérêt macabre mais uniquement parce que cela a constitué un bagage fort de mon socle culturel puis estudiantin. Alors, depuis quelques années, je constate des changements d’usage, des changements d’intérêts mais aussi de public lors des visite et cela m’intéresse fortement.

Il y a plus d’une dizaine d’année, ce type de collection ne faisait pas forcément l’unanimité au sein des visiteurs de musées et parfois, ces collections étaient complètement ignorées par ces derniers mais aussi par les collectivités ce qui a été à l’origine d’un retard considérable de reconnaissance et de protection en France. Même si, cela ne vous échappera pas, protéger des collections répond à un très grand nombre de règles et de protocoles qui ne peuvent pas être généralisés sur l’ensemble d’une collection et sont parfois du cas par cas selon les pièces. Et puis, au gré de mes pérégrinations internet à la recherche parfois d’informations sur des musées ou des conservatoires, je tombe sur des petites pépites journalistiques preuves que l’objectif de ces collections n’est pas acquis par les rédacteurs que ce soit il y a 10 ans mais aussi récemment pour certains médias.

Forcément, cela me tend. Mais plutôt que de rester tendue, je vais vous expliquer pourquoi cela me gêne mais également les acteurs qui travaillent au sein ou à proximité de ces collections.

Attention, cet article comporte des images de restes humains.

Histoire de la médecine et patrimoine

Bien que les collections soient toujours singulières avec des récurrences dans le type de pièces pour les yeux les moins exercés, l’idée principale lorsque l’on visite un musée ou un conservatoire d’anatomie est bien de faire une plongée dans l’histoire de la médecine. Une histoire longue et complexe (comme j’ai pu vous en expliquer quelques éléments autour de la dissection par exemple) et qui est très importante dans notre histoire commune à tous et qui nous donne des clés pour comprendre les formidables progrès dans ce domaine. Car si pour beaucoup l’accès au soin est une normalité, cela n’a pas toujours été le cas, et pour beaucoup de personnes dans le monde ça ne l’est toujours pas. Les collections d’anatomies locales vont faire un focus sur l’histoire de la médecine de notre pays en lien avec d’autres, ce qui ne veut pas dire qu’il faut exclure la médecine et son histoire dans les autres contrées mais bien prendre en considération l’ensemble pour avoir une vision globale du sujet.

Et en France nous sommes très chanceux car nous avons eu des médecins et anatomistes brillants (comme Fragonard) qui nous ont légué des collections impressionnantes ! C’est aussi un patrimoine important mêlant art et anatomie puisque nous sommes très chanceux d’avoir eu des maisons de prestige comme celle de Auzoux ou encore de Tramond (voir ma vidéo sur les cires anatomiques). Et toutes ces collections sont souvent sujettes à plusieurs problèmes : financement, entretien, protection, valorisation et questions éthiques quant à certaines présentations au grand public. Car il n’y a pas de doute que ces éléments renvoyant directement à la fin de vie, la maladie ou juste le corps (qui au final est toujours un grand tabou quand il s’agit d’aborder ses aspects les plus répulsifs) ne font pas toujours l’unanimité tant chez les visiteurs mais je le vois aussi de plus en plus chez les étudiants (en archéologie avec les fouilles de sépulture, en art avec la représentation du corps humain et parfois même dans le cadre des enseignements autour de la muséologie). On distingue alors dans ces collections les éléments humains (secs, plastinés, échorchés, en formol) , les collections animalières d’anatomie comparée (ostéologie ou taxidermie) le matériel médical (et ses différentes branches) et pharmacologique, les pièces archéologiques qui se sont retrouvées au milieu à un moment donné (par ex souvent des momies comme celles d’Antinoé que l’on peut croiser dans certains musées anatomiques) ou encore des têtes réduites jivaro. Et enfin les pièces didactiques que je mets aussi dans la case art : les cires, les écorchés, les gravures etc. Tout cela se subdivise aussi avec la qualité des contenants pour les collections, les globes, les socles, les meubles, les vitrines, tant d’éléments qui entrent en compte dans l’aspect qualitatif et patrimonial d’une pièce médicale.

Tout cela accumulé donne un ensemble de beaucoup de choses importantes à prendre en compte pour apprécier la totalité une collection. Et plus on étudie le sujet, plus on va souhaiter voir certaines pièces et cela constitue de beaux objectifs de visite pour les passionnés ! Pour beaucoup de musées et conservatoires qui n’ont pas été refaits ou mis au propre ces dernières années, il n’est pas rare de constater une accumulation d’objets avec très peu d’indications sur les cartels à proximité (les petits panneaux à destination des visiteurs), ce qui donne lors des visites libres ou semi libres un ensemble de personne en déambulation dans un ensemble d’objets et de restes humains qu’ils ne peuvent alors bien identifier. Cela est bien dommage car parfois ils passent à côté d’éléments vraiment intéressants ! Des questions autour de la muséologie et de la conservation qui ne sont bien sûr pas exclues des débats entre les acteurs du patrimoine et du milieu muséal. Mais c’est très long car comme je le disais, la multitude d’objet multipliée par des statuts différents en termes de conservation pour chaque pièce rend le travail autour de ces collections complexe à une époque où la culture et la recherche ne bénéficient pas de fonds suffisants pour avancer correctement. Même si, les thèses autour de ces collections sont toujours d’actualité pour le plus grand plaisir des futures études à venir (et je l’espère permettant de belles avancées en termes de protection, conservation et restauration).

Des horreurs au sein des musées d’anatomie ?

Souvent, le terme “horreurs” est associé aux galeries de tératologie. La tératologie c’est ce que la majeure partie du public associe aux monstres de la nature (on utilise parfois en effet le terme monstruosité dans le milieu). Mais on dira plutôt : étude des anomalies et des déformations lors du développement. Cela peut être aussi bien congénital qu’infectieux et intervenir lors des différents stades embryonnaires. Des malformations classées de façon médicale à différentes époques même si ce que nous voyons en bocal date principalement du XIXe même si la tératologie en science remonte au XVIIIe avec De Monstris de Albrecht von Haller. Car le XIXe est un siècle d’importantes évolutions en médecine et la conservation de fœtus et autres pièces anatomiques s’est vue grandement améliorée par la synthétisation du formaldéhyde milieu XIXe (le formol c’est un soluté aqueux à 3,7 % – 4 % de formaldéhyde). Quand j’observe les visiteurs c’est souvent dans ces sections que se mêlent rires, gêne et moqueries. C’est aussi souvent ce qui est le plus attendu du grand public dans l’ensemble d’une collection anatomique. Ce qui outrepasse parfois l’idée qu’on est face à de vraies personnes dans ces bocaux. Pour autant, les questions éthiques sont complexes autour de ces collections. En effet, les cacher c’est prendre le parti de les faire tomber dans l’oubli, de ne pas mettre en avant l’importance de leur préservation mais également de fermer la porte à des prises de consciences de ces questions de la part des visiteurs mais aussi fermer la porte à l’importance de la vulgarisation autour de ces collections. D’un autre côté, ce sont des êtres qui méritent également un respect post mortem qu’ils soient nés, morts nés ou décédés in utero. Pour rappel, l’OCIM a sorti un Vade- Mecum passionnant sur le sujet en 2019, je vous recommande cette lecture si le sujet des restes humains en collections vous intéresse.

Cire anatomique Musée Testut Latarjet.
Cire anatomique

Ces questions éthiques se retrouvent toujours autour des restes humains, qu’ils soient médicaux, archéologiques et ce sont de réelles questions avec plusieurs “clans” qui s’opposent, ceux qui sont contre les expositions de corps, ceux qui sont pour, ceux qui pensent qu’on doit dédier des salles et mettre des messages alertant les visiteurs de la présence de restes … et bien d’autres. Même si la question du consentement du visiteur quant à la vision de restes humains se pose dans les musées archéologiques, cette question se pose moins dans les musées d’anatomie puisque par définition nous savons que nous allons voir des restes – tout comme lorsque l’on visite un ossuaire.

La perception de la pathologie est un sujet très intéressant, c’est un des sujets majeurs de l’année 2019 autour des restes humains en France tant avec la sortie de l’ouvrage Handicap : quand l’archéologie nous éclaire de Valérie Delattre ou encore Archéologie de la santé, anthropologie du soin de Alain Froment et Hervé Guy. Les plus chanceux ont pu voir l’exposition Prenez soin de vous au Chronographe (j’ai fait une vidéo et un article par ici). Si je mets en relation, les galeries d’anatomie présentant des rayons autour de diverses pathologies sont concrètement englobées dans ce qui est considéré comme des horreurs par une grande partie du public. Mais ces éléments sont réels, ce sont des choses qui existent, que le corps humain développe pour diverses raisons et leur conservation ne répond pas nécessairement à la présentation d’élément avec pour vocation d’aiguiser une curiosité morbide mais bien de classer et visualiser des symptômes concrets. Idem pour les cires anatomiques présentant des maladies diverses et variées. Il faut alors changer sa vision des choses en visitant ces collections : non, ce ne sont pas des horreurs mais bien des “pièces” qui ont ont eu un intérêt à l’époque de leur conservation pour faire avancer la médecine et pour (souvent) éradiquer ou trouver des solutions à des maladies qui étaient vraiment problématiques. On ne pense plus alors uniquement objet et perception de ce dernier, mais on ouvre un prisme de visualisation de leur utilité dans le temps venant s’articuler avec des progrès théoriques et par conséquent des progrès sur le terrain. Alors, à mon sens, cela devient beau. Non pas visuellement car la maladie et la mort ne sont pas belles et restent dérangeantes. Mais d’un point de vue historique et patrimonial, c’est important et cela traduit les efforts considérables faits par nombre de chercheurs et médecins depuis toujours. C’est aussi un sujet qui touche à l’affect – tout comme la mort – et chacun ne réagit pas de la même façon car chacun a un rapport particulier au corps (au sien, à celui d’autrui) mais aussi à la transformation et à l’évocation de la maladie. Ce qui est normal mais qui ne doit pas être une justification unique au fait de devoir cacher ce type de collection pour des raisons confort de visiteurs car encore une fois : visiter ce type d’établissement c’est prendre le risque à je dirai 99,9 % de voir des restes humains.

Pour ma part, j’ai un profond respect pour le sujet car l’histoire de la médecine, je la vois comme un ensemble d’individus ayant œuvré ensemble pour le bien commun. C’est réellement cela que je perçois au gré des visites de ces collections ou de mes travaux en leur sein, un ensemble de personnalités, d’intelligence, parfois de “créations” que je comprends moins de prime abord mais que j’entends de par le contexte de leur création et les limites en médecine et de préservation des corps à une époque X : par exemple les pétrifications de Gorini que j’aime énormément mais que mon cerveau n’intègre toujours pas (cf le très bon livre de Ivan Cenzi de Bizzarro Bazar). Pour autant, ce sont des pièces qui sont majeures dans l’histoire de la médecine et qui méritent bien sûr une protection mais aussi une bonne compréhension de leur intérêt de la part du public. Idem, je suis pressée de voir l’avenir dans ce domaine, les mutualisations de collections, les idées en termes de muséologie car ce sont des pièces qui demandent aussi de réelles réflexions en termes de présentations : jeux de transparence, recul, perspectives pour le visiteur, parallèle avec des éléments auquel le spectateur peut se rattacher pour mieux comprendre et percevoir.

Car le meilleur moyen de sensibiliser et éduquer des personnes à un sujet c’est de l’expliquer, simplement mais concrètement et dans le domaine de la médecine et de la mort cela manque encore même si des efforts notables sont à noter (par exemple les 800 ans de la faculté de médecine de Montpellier en 2020 ) ou encore les diverses mises en valeur des Hotel-Dieu et Hospices en France mais aussi les expositions temporaire ou capsule dans divers musées sur le territoire !

J’espère que cet article a pu vous intéresser, peut être vous faire voir les choses d’une autre façon avec une mise en lumière autour de ce type de pièces muséales et patrimoniales qui peuvent à première vue horrifier mais qui sont vraiment très importante pour mieux comprendre l’évolution de l’histoire de la médecine !

 Musée Testut Latarjet.


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1 commentaire

  1. Bonjour Juliette,
    Après avoir mis un millénaire à te laisser mon commentaire je n’I rien d’autre à te dire si ce n’est que l’article est très clair et surtout merci de parler ce que l’on essaie de transmettre quand à la place de la mémoire et de la dignité des malformés …. et de ne pas parler « d’horreurs »
    Merci encore car avec la portée que tu as, j’espère que les gens (plus jeunes) porteront un autre regard que « on vient pour se faire peur »
    Merci encore !

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