L’archéologie de la santé et du soin : comprendre comment les anciens se soignaient.

Suite à la vidéo introductive sur l’archéologie du soin et l’exposition Prenez soin de vous au Chronographe à Rezé, j’ai souhaité faire un article complémentaire pour revenir sur certains points de la vidéo et vous parler plus en détail de la paléopathologie (étude des maladies des peuples du passé) et sur l’ostéo-archéologie.

Je débute la vidéo en abordant le sujet de la douleur. L’expression de la douleur est une aide précieuse pour jauger une urgence et poser un diagnostic. Néanmoins, il existe une réelle anthropologie de la douleur car comme je l’évoquais elle n’est pas exprimée de la même façon dans toutes les cultures ou à toutes les époques. Des manifestations qui peuvent se voir  lors des accouchements pour prendre un exemple très parlant pour tout le monde. La douleur c’est aussi pour certains un passage social vers un âge précis où cette dernière sera infligée pour des raisons tant culturelles que de croyances. Si nous souffrons tous, nous ne l’exprimons pas tous de la même façon selon notre milieu et notre culture. Si ce sujet vous intéresse je vous oriente vers le livre Anthropologie de la douleur de l’anthropologue David Le Breton qui explique très bien ces éléments et tout ce qui découle de la construction sociale.

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Pourtant, expression ou non de cette dernière, la douleur est bien présente dés lors qu’intervient une blessure ou une maladie sauf pour les maladies qui ne présentent pas nécessairement de symptômes. Alors, comme nos ancêtres y étaient sujets également, nous allons voir ensemble plusieurs cas, et je vais tenter d’expliquer plusieurs choses pour éclairer un petit peu sur l’importance de l’analyse d’un corps et de son contexte. Bien sûr, je recommande en premier lieu la lecture des ouvrages cités dans ma vidéo pour en savoir plus et tous les papiers/conférences en ligne des auteurs que j’ai cité.

Tout d’abord, l’étude d’une tombe va se faire sur le terrain en comparaison avec plusieurs éléments et en se posant plusieurs questions. Ici je vais essayer d’expliquer très simplement un protocole  :

  • Est-ce que la tombe est différentes des autres? Si oui en quoi ?
    Bien sûr en comparant avec des tombes de même niveau, même époque, les chercheurs vont voir si une sépulture leur semble différente, vont analyser plusieurs éléments comme l’orientation de la tombe et/ou du corps, la position du corps, les objets d’accompagnement si il y en a. On peut aussi déterminer si la tombe a été ouverte ou non ultérieurement ou même déterminer si des éléments du corps on été déplacés et parfois remis après la mort dans la fosse ou même si le corps a été inhumé contraint dans un linceul par exemple grâce aux connexions anatomiques. Tant de détails qui vont informer sur le déroulement des funérailles. A l’inverse, un individu qui n’a pas été bien traité (corps jeté dans une fosse ou encore inhumation dans un lieu inhabituel et sans soin) va donner des indices sur son propre statut aux chercheurs. Ou du moins va permettre de faire des suppositions.
  • Un individu différent ?
    C’est bien là une des questions importantes du traitement funéraire inhabituel pour une période donnée dans une culture donnée. Il faut penser que nous nous référons à des données de bases faites sur un panel bien défini : par exemple telle époque les inhumations se feront de telle façon et dans telle position etc et ce pour plusieurs périodes. Par contre, malgré des normes, il faut garder à l’esprit que ce n’est pas quelque chose de rigide et que chaque cas découvert peut apporter de nouveaux éléments sur le traitement funéraire à une période donnée pour un groupe d’individu. Lorsque des corps ne répondent pas à une pratique définie et observée en termes de rite funéraire, ils vont entrer dans la catégorie des sépultures anormales, déviantes pour reprendre l’anglicisme “deviant burials”. Ce sont ces cas particuliers qui vont pousser à rechercher des causes qu’elles soient sociales, historiques ou encore directement liées au corps de l’individu. Ainsi, le contexte social peut être lié au statut de l’individu : exclusion de la communauté marquée en post mortem. Historiques, elles peuvent intervenir lors de conflits par exemple : les corps sont laissés in situ sans rite funéraire (voir ma vidéo sur les massacres par exemple) et enfin ce qui est lié au corps : une différence physique ou une pathologie qui aurait pu soit exclure les individus ou alors conduire à une inhumation différente (voir la vidéo tombes de “sorcières”). Voila une liste non exhaustive de raisons mais en vérité, beaucoup de tombes anormales étudiées ou en cours d’étude sont en cours de supposition quant à leur existence, ce qui mène à des débats très intéressants entre chercheurs comme par exemple le cas des dépôts humains en fosses circulaires et silos du Néolithiques à l’âge du Fer pour lesquels on retrouve une discussion passionnante entre chercheurs dans l’ouvrage Morts anormaux et sépultures bizarres sous la direction de Luc Baray et Bruno Boulestin. Il a fallu attendre l’évolution de l’archéo-anthropologie pour pousser les recherches sur les corps différents ou encore sur la paléopathologie. C’est pour cela que pendant très longtemps, l’archéologie du handicap ou de la maladie n’a pas été traitée comme elle l’est aujourd’hui et qu’on a de plus en plus de découvertes qui permettent de s’interroger sur ce sujet important et ce, même de nos jours où les personnes porteuses de handicap se manifestent pour plus de droits, d’accessibilité et de considération. Une mise en lumière d’un sujet important. Une archéologie qui est essentielle, tant pour les personnes porteuses d’un handicap que pour les personnes valides qui peuvent alors s’interroger sur le sujet souvent méconnu lorsque l’on n’est pas porteur ou lorsque l’on n’a pas de porteur de handicap autour de soi.
  • Étudier les corps ?
    En plus d’étudier la sépulture, l’étude des corps peut permettre d’apprendre énormément de choses sur une personne. Les carences au cours de sa vie, les blessures, si il a porté un équipement lourd (voir cas de la bataille de Towton en vidéo), si les dents ont été utilisées comme outil ou encore si la personne a reçu des actes médicaux ou chirurgicaux. Tous ces éléments vont alors s’inscrire dans un autre domaine : l’histoire de la médecine car les cas pratiques retrouvés sur les individus peuvent appuyer des textes anciens ou bien peuvent permettre, si il n’y a pas de textes, de dresser des hypothèses et les affirmer ou non pour savoir quels types de soins étaient prodigués à une époque donnée pour une culture ciblée. Ce qui permet de façon plus générale de comprendre si par exemple il y a eu des diffusions de pratiques médicales entre les régions du monde, si oui à partir de quand et où. En bref, on peut savoir énormément de choses rien qu’avec un squelette !

Un point sur les éléments visuels présentés dans la vidéo.

Vous avez probablement vu les ex-voto oculistiques qui représentent des yeux et qui sont offerts aux divinités en remerciement ou en vue d’une guérison. On en a une trentaine répertoriés dans des sanctuaires dans la moitié Nord de la Gaule selon Stéphanie Raux qui en parle dans le guide de l’exposition Prenez soin de vous. Les ex voto peuvent se retrouver dans des sanctuaires avec des points d’eau par exemple et pouvaient être fixés sur des murs ou des éléments porteurs. Des ex-voto pouvant être utilisés en parallèle d’une consultation médicale car nous savons que l’ophtalmologie était pratiquée dans l’antiquité (mais aussi la gynécologie !). C’est ce qu’expliquent Jacques Santrot et Sophie Corson toujours dans le petit guide d’exposition avec les éléments issus de la tombe du IIe siècle attribuée à un ou une ophtalmologiste. La diagnose sexuelle n’a pas pu avoir lieu car au XIXe siècle lors de la découverte, le petit squelette gracile d’1m53 a eu le crâne détruit par le coup de pied d’un enfant et les os ont été perdus. Les objets de cette tombe de Saint Médard font alors penser que l’individu était médecin et spécialiste de cette discipline puisque sa tombe renfermait ces éléments. Ce qui est mentionné dans le catalogue fait référence à une autre trousse qui elle a été découverte à Lyon (Lugdunum) toujours en contexte funéraire et a été datée du IIe siècle. L’ensemble a été découvert dans le comblement de la fosse du bucher funéraire. La trousse contenait les éléments solides à broyer et à mélanger avec un liquide ou une huile pour préparer les collyres et des éléments de type pollens ont été trouvé également, éléments toujours présents dans la pharmacopée oculaire actuelle. Voila que de si petites et exceptionnelles trousses attestent les sources des textes antiques en lien avec le soin des yeux mais surtout, elles suivaient le praticien jusque dans la tombe.

La femme iranienne de Burnt City Shahr-e Sukhteh

femme iranienne Burnt city
Prothèse oculaire à Burnt-city
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Mais regardez ces fémurs et ce sacrum !!

Cette femme morte entre 28 et 32 ans a été découverte en 2007 sur le site de Burnt City et est décédée entre 2900 et 2800 avant notre ère. Sa particularité a été d’être retrouvée avec au niveau de l’orbite, un élément rond et convexe étant une prothèse oculaire. Tout d’abord, les chercheurs ont pensé qu’il s’agissait que d’un élément esthétique mis à disposition d’une personne avec un statut social élevé. Les chercheurs autour du site sont restés sur cette hypothèses pour plusieurs raisons. Ils ont du regarder de plus près cette prothèse pour y voir des rainures qui en réalités étaient des éléments reproduisant l’œil : Un cercle au centre, la pupille et les traits de l’iris et le tout comblé par un revêtement probablement doré (ce qui fait aussi penser aux chercheurs à une représentation du soleil). On imagine que cette femme, qui était en comparaison avec les autres femmes de la zone beaucoup plus grande, avait une allure particulière avec sa prothèse faite de matière naturelle et de graisse animale. Le port de cette prothèse grâce à une ficelle très probablement, comme un cache œil, lui a provoqué des petites modification au niveau de l’orbite d’un point de vue osseux. Ce qui prouve que l’objet n’a pas été mis que pour les funérailles. Bien qu’on ne sache pas quelle était sa pathologie ou son handicap, on voit qu’elle a été suivie, et surtout qu’elle a été inhumée avec soin. Tous ces éléments font alors penser qu’elle avait une position particulière dans la société voire qu’elle ne venait pas forcément de Burnt City et qu’elle est arrivée durant sa vie sur place suite à l’étude de son squelette massif et sa forme de crâne peu habituelle pour la région et l’époque. Elle n’était pour autant pas ostracisée par les habitants. Un cas unique.

Le Lombard

Lombard amputé archéologie

lombard dents

L’homme est décédé entre le VIe et le VIIIe siècle et a été inhumé dans une nécropole au Nord de l’Italie à Povegliano Veronese. La plupart des corps retrouvés dans cette nécropole sont bien conservés d’un point de vue ostéologique, et l’individu amputé a été défini comme étant de sexe masculin après étude visuelle du crâne et du pelvis. L’âge a été déterminé par l’étude de la denture et de certains ossements ce qui indique que l’homme avait environ 47 ans au moment de sa mort (entre 40 et 50 pour sûr). Il a été installé sans cercueil dans une fosse creusée dans une matière argileuse et on retrouve dans sa tombe des éléments comme une boucle de ceinture en bronze et un couteau. Mais les éléments dans la tombe font penser aux chercheurs que l’homme ne venait pas de Povegliano Veronese à une époque où de nombreux individus circulaient en Europe. Les raisons de l’amputation ne sont pas définies. Il a très bien pu être amputé suite à une nécrose due à une chute ou une blessure mais il aurait très bien pu perdre son avant bras au combat. En revanche il a bien cicatrisé, ce qui montre qu’un soin particulier a été porté à la blessure. Nous savons que l’existence de cataplasmes et une attention particulière de la cicatrisation ont pu être mis en place pour permettre à cet individu de se soigner. Ces éléments ainsi que ses funérailles font penser à un soin de cet individu de façon communautaire avec une réelle position sociale de cette personne au sein de son groupe. Les chercheurs pensent que sa communauté a été présente pour les soins et aussi par la suite pour la mise en place et la création de sa prothèse qu’il resserrait en mettant le lien en cuir (probable) entre ses dents afin de fixer le tout durant la journée. Ainsi, comme les autres hommes de la nécropole il a été inhumé avec une arme. Ce qui, pour des personnes impliquée régulièrement dans des combats fait penser que même dans la mort, les vivants n’ont pas voulu inhumer cet homme sans un attribut usuel et faisant écho à un objet guerrier. Au même niveau que les autres.

L’enfant au syndrome de Down

syndrome down archeologie

Cet enfant a été découvert dans une nécropole française au sud de l’église de Saint-Jean-des-vignes qui contenait 94 individus inhumés entre le Ve et le VIe siècle de notre ère. Pour ce qui est de l’analyse, les ossements ont disparu après les fouilles et seules les photos subsistent pour l’étude. A part quelques éléments osseux manquants, le corps était en bon état et l’âge a été déterminé sur le critère dentaire correspondant à un enfant décédé entre 5 et 8 ans. Néanmoins, il est très difficile de base de déterminer l’âge & surtout le sexed’un immature et encore plus lors de cas particuliers. Pour déterminer la présence éventuelle du syndrome de Down sur ce petit individu, ils se sont basés sur différents éléments autour du crâne en comparant avec des éléments similaires et caractéristiques du syndrome. Également au niveau de la mâchoire, ils ont noté une anégésie (une absence de formation d’un organe ou d’un membre lors de l’embryogenèse) de la seconde prémolaire du bas à gauche qui se retrouve également chez les personnes atteintes du syndrome. L’idée d’une hydrocéphalie a été envisagée à l’image de l’enfant de Doonbought Fort en Irlande en 1969 ou encore de cet enfant plus jeune d’époque plus récente (XIVe-XVIIIe) à Žumberak en Croatie. Cette pathologie est exclue car pour l’enfant de Saint-Jean-des-Vignes, la capacité crânienne est normale pour son âge tandis qu’une hydrocéphalie aurait provoqué une capacité crânienne plus importante et alors anormale comme sur les cas ci-dessous pour le ratio âge/capacité. Les chercheurs pensent donc que l’enfant a bien eu un syndrome de Down mais ils posent ce diagnostic avec des pincettes car certains os sont manquants et ces derniers aurait pu aider à rendre un verdict plus appuyé. Ce qui est par contre certain, c’est que cet enfant a été inhumé comme les autres, dans un coffrage en bois très probablement, qu’il n’a pas eu de distinction particulière ni par rapport à son âge ni par rapport à sa différence manifeste. Ce qui montre que l’on peut vraiment imaginer son traitement de son vivant, toujours en supposant que son intégration dans son groupuscule familial et social ait été manifeste. Cet individu a été annoncé comme le plus ancien à porter le syndrome de Down retrouvé en archéologie, mais cela est en débat puisqu’il existe un cas supposé trouvé en 1960 en Angleterre qui serait aussi un des cas les plus anciens mais également un cas en Californie datant de 5200 avant notre ère mais moins certain. Il est tout de même inhumé avec ses proches dans une nécropole. Voilà ce qui peut être dit sur cet enfant, des papiers très intéressants sont à retrouver en sources. Ces cas sont intéressants car le handicap est visible au niveau du squelette. Pour des handicaps qui ne se voient pas sur les os, c’est plus difficile à déterminer. Tous les handicaps qui touchent les sens ne se déterminent pas sur un individu à l’état de squelette, ce qui complique l’étude du handicap dans les populations du passé. On ne peut en aucun cas dire que le handicap n’existait pas, il n’est juste pas documenté à sa juste valeur puisque si le handicap peut être évoqué à l’écrit, pour tout ce qui est visibilité dans le cadre funéraire, c’est difficile à déterminer (sauf si il y a des prothèses ou des éléments apportant des indices flagrants).

Hydrocéphale, le cas croate

 

hydrocéphalie
Hydrocéphalie cas Irlandais

Cas plus exceptionnels et en débats : Une science qui évolue

enfant anthropologie

Durant mes différentes recherche dans le temps, j’ai quelques sujets que je surveille un petit peu de loin selon les actualités et en particulier plusieurs débats autour des causes de mortalité visible sur les os (blessures, traumas) même si par exemple dans le cas d’une blessure, la cause peut être une hémorragie interne par exemple ou la rupture d’une artère ce qui n’est bien sûr pas visible sur un squelette. Parmi ces sujets, il y a le sujet de la violence sur les enfants qui est en débat de façon récurrente dans le domaine archéologique. Par exemple il y a un cas fortement supposé qui a été retrouvé dans l’oasis de Dakhleh en Egypte d’un enfant de la période romaine retrouvé mort vers 2 ou 3 ans. Ce qui a frappé les archéologues c’est bien les différentes fractures visibles sur l’enfant. Autant certaines fractures peuvent sembler relativement ‘normales’ sur des individus compte tenu de l’âge et de la position mais ici l’enfant présentait plusieurs fractures à différents stades ce qui indiquait qu’elles étaient non accidentelles et surtout répétées. L’enfant présentait plusieurs fractures à la partie supérieure des bras ce qui indiquerait qu’il aurait été maintenu et secoué violemment en étant tenu par cette partie du corps. Mais également il présentait des fractures causées probablement par des coups. Enfin, pour ce qui serait d’une blessure peri mortem (ayant causé la mort ou du moins survenue à ce moment), la blessure à la clavicule semble avoir un lien. Alors pourquoi en savons-nous si peu sur les enfants qui ont été maltraités dans l’histoire? Et bien pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le squelette d’un enfant n’est pas toujours retrouvé, soit parce que il a tout simplement disparu avec le temps ou bien parce que il n’a pas été inhumé avec d’autres individus. Nous savons que dans les temps plus anciens mais aussi actuellement dans plusieurs parties du monde (exemple chez les Torajas d’Indonésie) que les enfants ont un traitement funéraire différent selon leur âge (poussée dentaire etc) ce qui fait que lors d’une fouille de nécropole, on ne tombe pas toujours dessus selon les périodes. La second raison est que pendant longtemps, les ossements infantiles n’ont pas été correctement collectés et considérés. Ces deux facteurs font que les recherches sur la violence sur enfant reste quelque chose de plutôt récent appuyé par l’anthropologie biologique et et lésionnelle. Les débats autour de ce sujet qui ont pu avoir lieu du type “si on ne le voit pas c’est que ça n’existe pas” sont complètement remis en question avec des sujets comme celui-ci qui apparaissent au gré des découvertes et des analyses des squelettes. Voilà à quoi peut servir aussi l’archéo anthropologie : à mettre en lumière des cas plus graves du passé qui là aussi font écho à nos problèmes de société autour des enfants victimes de maltraitance au quotidien et occasionnant des morts de façon régulière et en particulier chez les plus jeunes.

Visuel odontologique de la vidéo

 

A côté du sourire d’Anne d’Alègre j’ai posté deux photos, celle d’un appareillage au fil d’or qui correspond à celui d’une personne inhumée en Egypte il y a 4000 ans et en haut, l’illustration représente une opération dentaire datant du paléolithique supérieur (homme de 25 ans inhumé il y a 14 000 ans). Deux cas qui montrent une petite partie de la diversité des soins odontologiques déjà décrits dans des papiers anciens en lien avec la médecine. L’archéologie permet pour des période sans écrits où la question du soin se pose comme aux différents stades de la préhistoire, de faire des découverte et de supposer des soins. Comme cet individu du Néolithique ayant eu une fissure dentaire colmatée à la cire d’abeille. Il faut garder en tête que beaucoup de populations du passé mais aussi encore actuellement utilisent les dents comme outils (j’en parle un petit peu dans mon article sur les mutilations volontaires des dents) pour par exemple couper, tenir ou encore racler des éléments, ce qui évidemment provoque des problèmes à l’émail dentaire. Il me faudrait un article complet pour vous parler des soins odontologiques, mais le cas de Anne d’Alègre présenté au Chronographe est très intéressant car on voit extrêmement bien l’appareillage de la dame exposée. L’archéologie a permis de retrouver des couronnes dentaires durant l’antiquité, des ancêtres de bridges, des appareils dentaires plus récemment faits avec les dents des jeunes hommes tombés à Waterloo et pillés de leur dentition par des hommes d’affaire d’un genre particulier. Bref, nos ancêtres prenaient clairement soin de leurs dents de façon plus ou moins soutenue durant l’histoire. L’archéologie permet de dresser un panel d’opérations ou d’éléments installés sur la denture permettant un soin de l’individu dans le besoin.

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Appareil à base de dents extraites des corps de Waterloo appelé ‘Waterloo teeth’

Pour autant, à des périodes plus anciennes que ce soit en Egypte ou chez les étrusques, le travail de soin dentaire est bien souvent mis en avant. Mais attention, certains images sur internet ne sont pas nécessairement d’époque. C’est le cas pour ce travail qui est visible au Museum of Dentistry museum. Souvent présenté comme un travail sur moment égyptienne, il s’agit d’une hypothèse de soin dentaire faite par Vincenzo Gerini. Ainsi, bien que nous connaissons des bridges et autres appareillages anciens, cet exemple n’est actuellement pas une preuve à 100 % d’appareillage égyptien.

Incredible dental work found on a 4,000-year-old mummy of Ancient Egypt -  Africa Global Radio

Un tour au Chronographe pour l’exposition
Prenez soin de vous en partenariat avec l’INRAP

Pour clôturer ce sujet, je vous partage ma visite de l’exposition qui se trouve au Chronographe à Rezé à quelques arrêts de tramway de Nantes pour justement en savoir plus. Dans sa charpente en bois se cachent des objets archéologiques passionnants car le site de Rezé était important durant l’Antiquité avec des échanges de marchandises. En plus d’avoir conservé des vestiges archéologiques visibles in situ, c’est aussi une charmante chapelle, celle de Saint-Lupien qui se dresse non loin de l’entrée.

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Crédit : Le Chronographe
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La chapelle Saint-Lupien construite fin XVe ou début XVIe au-dessus des vestiges gallo-romains.

L’exposition Prenez soin de vous se trouve au niveau inférieur du bâtiment, mais je vous recommande vivement de vous attarder sur la salle du rez-de-chaussé car on y découvre l’histoire de Rezé, Ratiatum avec des objets, des éléments interactifs qui permettent de comprendre le site archéologique et les différentes analyses liées aux trouvailles sur place.

Comme je le disais dans la vidéo, Prenez soin de vous est une véritable invitation à la découverte et à la réflexion autour du sujet de l’archéologie du soin et de l’utilité d’étudier nos ancêtres et leurs tombes. Ainsi, l’exposition s’adresse autant aux petits qu’aux grands et c’est le cas également les éléments numériques souvent axés pour les enfants qui ici sont aussi pensés pour les adultes. C’est un gros point positif, également le fait que tout est à hauteur des plus petits, j’insiste sur ce point car la transmission du savoir se fait aussi par le biais des expositions et les plus jeunes sont les chercheurs de demain. Ainsi, on découvre une multitude d’objets archéologiques qui montrent à quel point le soin du corps, l’hygiène et la santé étaient déjà des préoccupations de nombreux siècles en arrière.

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Les grands aussi peuvent du coup tester les méthodes de diagnose sexuelle ou encore de détermination de la taille des défunts !

Anne d’Alègre

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Anne d'Alègre le chronographe
Crâne d’Anne d’Alègre et son appareillage dentaire au fil d’or
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Anne d’Alègre, vue de profil.
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Crédits : E. Mare 1987

La comtesse qui est la pièce maitresse de l’exposition est décédée vers 54 ans il y a 400 ans et a été découverte le sous-sol de la chapelle du Vieux-Château de Laval en 1987. C’est un sarcophage en plomb anthropomorphe qui était protégé dans un coffrage en bois qui est découvert et avec sur le dessus un contenant en plomb en forme de coeur (un cardiotaphe). Il faut attendre une poignée de jours pour que le cercueil en plomb soit ouvert par des spécialistes qui y découvrent un corps momifié dans un linceul. Il faut attendre 2007 pour sortir des réserves du Vieux-Château de Laval le squelette de Anne et celui de son fils Guy XX, dernier comte de Laval (reconnaissable car ses ossements sont tout verts).

La première étude publiée sur le squelette date de 1992 et a été publiée par Pierre Jean-Rigaud et Eric Moisdon. Ils y expliquent moult détails sur la découverte et à propos des dents, ils expliquent que les dents et appareillées ont été découvertes à côté du squelette. Il faut attendre 2009 pour qu’un autre collectif de chercheurs composé de R.Colleter, P. Charlier, J. Tréguier, S. Pruvot, J. Poupon se penchent sur le cas Anne d’Alègre. Ils font une analyse complète de ses ossements, relèvent des éléments intéressants comme un spina bifida occulta (sans grand incidence) sur son sacrum et sa première vertèbre cervicale. Au niveau de sa denture, elle aurait eu des pertes ante-mortem que les chercheurs mettent sur le compte d’une parodontite (la parodontite est une inflammation des tissus qui entourent et qui soutiennent les dents). On voit alors que durant sa vie elle a porté un appareil fait au fil d’or (il ne s’oxyde pas) pour ligaturer les dents. La prothèse (en ivoire ou peut être bois de cerf) est aussi bien visible lorsque l’on s’approche de la dame exposée au Chronographe.

L’autre élément majeur de cette femme et de son traitement post mortem c’est son embaumement puisque même si c’est bien documenté, il est difficile de trouver des corps qui en portent les traces : Ici Anne et son fils ont été embaumés et sont des exemples très intéressants. Pour Anne on voit clairement que le crâne a été scié à l’horizontale avec quelques reprises pendant la découpe. Lorsque l’on observe la découpe, un espace est clairement visible le long de la coupure, c’est parce que l’angle de cette dernière a été modifié. Sur le reste du squelette il est bon de savoir qu’à l’image de Guy XX, des traces de coupures sont visible sur certains os et chez Anne d’Alègre sur sa scapula une coupure qui fait penser à une incision faite en vue d’extraite le sang et de placer les éléments qui ont servi à embaumer le corps avec pour les parties molles comme le cerveau, des copeaux de bois mélangés avec des plantes odorantes. C’est l’étude palynologique qui montrent la présence de thym, d’origan et de genévrier dans la composition de l’embaumement également. Cette étude a permis de montrer sur des corps des éléments qui étaient décrits dans des textes.

Une exposition en partenariat avec l’INRAP  jusqu’au 5 Janvier 2020 ! le chronographe

Comité scientifique

Valérie Delattre est archéo-anthropologue à l’Inrap et spécialiste des pratiques funéraires et cultuelles de la Protohistoire au Moyen Âge.
Hervé Guy est archéologue préhistorien et anthropologue biologiste à l’Inrap.
Marie-Laure Hervé-Monteil est archéologue à l’Inrap Grand-Ouest et est spécialiste de la période gallo-romaine.

  • Ouverture : du mercredi au dimanche, de 14h à 18h.
  • Le Chronographe, 21 rue Saint-Lupien, 44400 Rezé lechronographe.nantesmetropole.fr – @lechronographe

Remerciements : Je tiens à remercier l’équipe du Chronographe de m’avoir si bien reçue, les équipes de l’INRAP pour les différents échanges ainsi que les propositions de mise en contact avec certains chercheurs ayant contribué à l’exposition ou aux recherches autour de Anne d’Alègre.

oscar le chronographe
Merci à Oscar et son ami d’avoir été aussi enthousiastes pour poser face à mon objectif.

tip

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Sources :

https://journals.openedition.org/archeopages/1609
Artificial Eye in Burnt City and Theoretical Understanding of How Vision Work

The World’s Oldest known Artificial Eye


https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/05786967.2008.11864751?needAccess=true&journalCode=rirn20
https://archive.archaeology.org/1111/features/dasht-e_lut_iran_shahr-i-sokta-shahad_tepe_yaha.html
http://www.isita-org.com/jass/Contents/2018vol96/Micarelli/Micarelli.pdf
https://www.jstor.org/stable/20568192?seq=1#page_scan_tab_contents
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1879981718301700?via%3Dihub
https://www.researchgate.net/publication/259168819_Shattered_lives_and_broken_childhoods_Evidence_of_physical_child_abuse_in_
ancient_Egypt
https://www.livescience.com/34738-egypt-cemetery-reveals-child-abuse.html
https://www.researchgate.net/publication/9761927_A_possible_case_of_mongolism_in_a_Sexon_population
Signature=aa03fcd1e7802989b3fb54d26d94bc72a08dc9573c9067ba80f5fce587147d87
AncientDownsyndrome:An osteological case from Saint-Jean-des-Vignes,northeastern France, from the5–6thcenturyAD
https://australianarchaeologicalassociation.com.au/journal/thesis-abstract-recognising-physical-child-abuse-in-antiquity-a-palaeopathological-approach/
Infanticide in the archaeological record: sense or sensationalism? (Or: No, I’m not an ‘over-emotional’ mother and archaeologist)
Gilmore, H. and S. E. Halcrow (2014). Interpretations of infanticide in the past. J. Thompson, M.P. Alfonso-Durruty and John Crandell (eds). Tracing Childhood: Bioarchaeological investigations of early lives in antiquity. Florida: University of Florida Press. 123-138.
Halcrow, S. E., N. Tayles and V. Livingstone (2008). “Infant death in prehistoric Southeast Asia” Asian Perspectives. 48 (2): 371-404.
Earliest evidence of dental caries manipulation in the Late Upper Palaeolithic Gregorio Oxilia,  Marco Peresani, Matteo Romandini, Chiara Matteucci, Cynthianne Debono Spiteri, Amanda G. Henry, Dieter Schulz, Will Archer, Jacopo Crezzini, Francesco Boschin, Paolo Boscato, Klervia Jaouen, Tamara Dogandzic, Alberto Broglio, Jacopo Moggi-Cecchi, Luca Fiorenza, Jean-Jacques Hublin, Ottmar Kullmer, Stefano Benazz
Handicap, quand l’archéologie nous éclaire de Valérie Delattre éditions Le Pommier 2018
Matière d’embaumement dans la sépulture du château de Laval : analyse des graines Pierre-Marie Ruas
Reconstitution d’un visage d’une personnage historique par la méthode
D.M.P Claude Antoine Mallet
La méthode DMP de reconstitution faciale dans l’identification médico légale, 1992, Cl. Desbois, Cl. Mallet, R. Perrot
Les derniers jours des comtes de Laval étude ostéo-archéologique des restes de Guy XX et Anne d’Alègre, 2009 R. Colleter, P. Charlier, J. Treguier, S. Pruvot, J. Poupon
Etude anthropologique du squelette présumé de Anne d’Alègre, E. Moisdon, P-J Rigaud 1992

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Le chronographe

4 commentaires

  1. Merci pour cet article qui effectivement complète très bien la vidéo! Cela donne très envie de me rendre à l’exposition, et d’approfondir le sujet… Donc merci aussi pour les sources et la petite bibliographie!

  2. Bonsoir Juliette,

    Cet article complète la conférence de Valérie DELATTRE que j’ai tout récemment visionnée.
    Une vulgarisation particulièrement réussie : pédagogique, intelligente et passionnante. Cette
    experte de l’INRAP est vraiment fantastique.
    *
    Quoique nantaise, et ayant communiqué à plusieurs reprises, sur Twitter, à propos du Chronographe (abonné à mon compte, par ailleurs ! ;-)), je n’ai malheureusement toujours pas eu la possibilité de me rendre à Rezé pour voir, in situ, cette sxposition exceptionnelle.

    Bonne continuation.
    Cat

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