Le funéraire et la mode : Depuis quand le dress code est-il all in black ?

En cas de funérailles, comme pour toutes les questions importantes de la vie et la participation à des évènements, la question de la tenue vestimentaire se pose. La classique et indémodable mode du noir peut parfois se voir remplacer par des nuances sombres de bleu, gris ou encore violet.  Pour des conseils de tenue c’est par ici

Mais au fait, depuis quand on s’habille en noir pour les enterrements?

En 2015, le Metropolitan Museum of Art  a consacré une exposition complète sur les “mourning dresses” c’est à dire les robes de deuil qui sont un véritable marqueur de pensée et de tradition. C’est dire à quel point le sujet est considéré par les personnes ayant de l’affection pour les musées et les belles pièces mais aussi par les personnes concernées par le milieu de la mode. L’exposition du MET en revanche ne se concentre que sur un siècle de mode, ce qui en soit est beaucoup mais pas suffisant pour un regard global sur la mode funéraire.

MET MOURNING
Exposition Death Becomes Her: A Century of Mourning Attire – 2015 au MET

 Pour commencer, mon article parlera principalement des vêtements féminins car le deuil était porté principalement par les femmes dans l’histoire et de façon culturelle (que ce soit le veuvage ou la perte d’enfant), il est donc tout à fait normal de se concentrer sur cette mode là à mon sens puisque ce sont les femmes qui vont orienter les évolutions dans ce domaine. Les messieurs sont aussi concernés mais on remarque qu’à l’époque victorienne, le costume sombre est de mise et cette tenue a très peu évolué dans le temps jusqu’à maintenant. De plus ils portaient le deuil que pendant les cérémonies alors que les femmes elles le portaient les jours et mois voir années suivant l’enterrement (pas très égalitaire tout ça, on s’entend.)

520–510
520–510 av JC – Grèce

Avant la prédominance du noir, survenue au final assez tardivement, de nombreuses cultures privilégiaient la couleur blanche ou grise ou noire dans lors des funérailles et bien sur un dénuement en termes de bijoux et d’accessoires. Pour les romains, le deuil est codifié et ce sur l’expression des sentiments également. Une coupure hors du temps, afin de procéder au départ du défunt puis une réintégration progressive dans la vie de la civitas. La tenue funéraire tranche avec la tenue du quotidien, ainsi les magistrats porteront du sombre à l’inverse du blanc habituel et les femmes changent de tenue et vont adopter d’autres codes de couleur mais le changement s’opère au niveau de la coiffure puisque les femmes en deuil ne se coifferont plus et laisseront les cheveux libres et dépeignés (et pour certaines l’arrachage de cheveux est un acte lié au deuil qui lui aussi est codifié). Le rasage tant pour les hommes que les femmes est de rigueur à de nombreux endroits dans l’Antiquité et la pratique est toujours d’actualité dans certaines parties du monde (Inde entre autres). Les femmes, les matrones ont un rôle essentiel dans cette société au niveau des rites funéraires. En Egypte, la couleur blanche aussi favorisée mais c’est surtout à l’époque tardive qu’il serait extrêmement mal venu de porter tout signe ostentatoire de richesse (et ceci est une constante dans les funérailles de nombreux peuples antiques, l’obligation d’humilité pendant ce temps hors temps du deuil).

2008. Museum of Fine Arts, Boston.
Funérailles Mastaba d’Idou. 2008. Museum of Fine Arts, Boston.

Tout cela est bien plus qu’une question de mode, il s’agit de choses ayant un impact sur la vie et les relations sociales. Ces traditions de vêtements différents de la vie quotidienne et codifiés s’applique par la suite aux religions monothéistes également avec pour chacune évidemment des divergences tant d’apparence que de symbolique. La constante dans les funérailles et dans la ‘mode’ c’est que les tenues diffèrent également selon les statuts sociaux. En effet, les têtes couronnées ne pratiquent pas le même code vestimentaire que les personnes entre guillemets “normales” de part l’étiquette mais aussi le rang social (et cela est visible dans toutes les cultures). Néanmoins par la suite, les textes à propos du vêtement funéraire se font rares et il faut attendre le XVe siècle pour avoir des timides indications sur la tradition vestimentaire et des enluminures. Le deuil chez les liturges catholiques s’accorde selon les époques sur le pourpre ou le noir et souvent brodé de façon très fine. Cette tenue est uniquement consacrée aux offices funéraires et ce depuis le XIIe siècle.On voit sur l’illustration ci-dessous différentes variantes de la tenue de deuil médiévale masculine.

Schwartz
Tenue de deuil du fils Schwartz au XVe.

Le noir et la décence est donc de mise petit à petit et se substitue au blanc, les têtes couronnées étant d’autant plus scrutées puisque un deuil royal pour une veuve pouvait durer plus de 40 jours et répondait à des règles très strictes. Question d’étiquette. Mais le vêtement funéraire doit alors toujours être couvrant et si l’on remarque c’est quelque chose qui est toujours appliqué de nos jours (du moins pour les épaules et les bras). L’Art nous permet d’avoir un très bon aperçu des tenues portées par les femmes de la couronne lors du deuil des maris ou des enfants (mais les deuils d’enfants ont toujours des aspects plus particuliers et ce dés l’Antiquité). Il faut savoir que les progrès pour teindre les étoffes en noir au Moyen-Age rendaient l’accès à ces tissus compliquée à cause du prix ! Donc cela était réservé aux plus riches et donc signe d’élégance.

Exemple tenue de deuil
Sigrid Gustafsdotter Banér XVIIe

Mais au fur et à mesure on observe quelques transformations….les froufrous !

L’arrivée des froufrous et de la fashion !

Petit à petit, le vêtement funéraire en plus de se calquer sur des modèles déjà existants de la mode du quotidien, on approche doucement vers un style qui s’éloigne au fur et à mesure du dénuent d’origine pour ajouter des dentelles tout d’abord puis petit à petit des bijoux, du moins en Europe. Il y a autant de dress codes funéraires que de cultures dans le monde c’est pour cela que le blanc ou encore le rouge est un basique de funérailles dans certains pays !
On fait alors un petit bon au XVIIIe siècle qui voit voler les règles strictes de la Renaissance et du Moyen-Age ! Néanmoins tout est codifié et sans exception. Le noir est de rigueur mais pas d’étoffe riche ou à reflets, les bijoux et perruques sont contrôlées et limitées également.

Marie Thérèse
Marie Thérèse d’Autriche

Sur le tableau ci dessus, on remarque que Marie Thérèse d’Autriche s’est permis une petite coquetterie du côté du décolleté mais la tête reste toujours couverte comme pour les tenues depuis l’Antiquité. Le noir permet de rompre avec les couleurs classiques de l’habillement ce qui en fait une tenue uniquement réservée à cette occasion.A contrario certaines femmes observent et conservent des vêtements extrêmement couvrants. On est un peu entre deux eaux, la transition n’est pas encore faite à 100 % vers les tenues extrêmement travaillées.

Marie Antoinette
La Reine Marie Antoinette en deuil de son mari et en prison en attente de sa propre décapitation porte la robe de deuil.

On observe que la tenue de deuil prend de plus en plus de place ne serait-ce qu’en cas de veuvage où le légataire paiera la tenue de veuvage de la femme. Ceci était un code d’honneur à respecter afin de démontrer socialement sa valeur… La robe de deuil devient donc un argument financier !

Par la suite, au XIXe siècle en  pleine époque victorienne, le noir et l’élégance sont vraiment importants dans le deuil. On troque ses robes blanches ou poudrées contre des robes imposantes noires et travaillées. Pour autant ces dernières sont un peu plus découvertes au niveau du haut du corps et c’est sur cette période que s’est concentrée l’exposition du MET . A mon sens, l’époque victorienne représente une élégance perdue du deuil à travers le vêtement. Les étoffes changent, les tissus s’ornent de motifs, les coupes se font plus vaporeuses et bien sur les accessoires sont bien plus présents (broches, colliers et autres).

MET

On commence à intégrer également d’autres couleurs comme le doré ce qui enrichi la tenue. N’oubliez pas, à cette époque on vit avec les morts alors chaque évènement mortuaire est aussi une occasion s’asseoir son statut social. Le port du voile et de la mantille continue mais n’est plus forcément obligatoire en dehors des offices religieux.

La tenue de deuil s’est à nouveau simplifiée au XXe siècle, déjà avec deux guerres successives, le deuil se portaient dans tous les cas et les moyens financiers ne permettaient pas toujours d’acheter une robe spéciale (idem pour les mariages, de nombreuses mariées ont utilisé leur plus belle robe pour leur jour J qui était également leur robe de deuil). On oublie alors les excentricités de l’époque victorienne…

Qu’en est-il au XXIe siècle ?

tumblr_n0ysr9jlmr1sdtaqko3_250Je ne compte plus les sites web répondant à la question : “comment s’habiller pour un enterrement?’ hormis cadre culturel ou religieux strict en terme de tenue vestimentaire c’est en effet une question tout à fait logique et au final pas si bête. Dans tous les cas, la réflexion d’une tenue est plus simple pour celui qui assiste à la cérémonie que pour celui qui perd son proche (en soi, on le prend en compte mais au fond ce n’est pas l’important au moment précis). Le noir est donc toujours privilégié et ce après des siècles de son arrivée dans les coutumes fashion funéraire. Actuellement, l’enterrement est rarement la place pour l’étalage de sa richesse personnelle et nous sommes revenus à des tenues plus simples. La robe longue a laissé sa place à la jupe sous le genou et au pantalon. Néanmoins, le noir s’est aussi vu substitué par d’autres couleurs de la palette sombre. Pourtant dans l’imaginaire collectif, l’idée dans le langage courant de la “veuve sicilienne” est directement issu de la tradition conservée en Méditerranée de tenues proches des codes que l’on pouvait retrouver à d’autres époques. Inconsciemment, notre œil sur la tenue des autres peut rapidement être assimilée aux tenues de deuil, une preuve que le sujet bien qu’il semble léger est représentatif d’un sujet qui nous concerne tous et toutes.

A bientôt !

Pour compléter mes deux vidéos :

Les bijoux funéraires
Les photos post mortem victoriennes avec beaucoup d’exemples de tenues de deuil

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Sources :

https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_2004_num_221_3_1491

https://journals.openedition.org/rhr/6043

https://www.metmuseum.org/exhibitions/listings/2014/death-becomes-her

http://www.seuil.com/ouvrage/noir-michel-pastoureau/9782020490870

Fashionable Mourning Jewelry, Clothing, & Customs (Schiffer Book for Collectors with Price Guide)

9 commentaires

  1. Très intéressant…instructif…un bon complement aux vidéos… Bref quelque soit le support j’adore !!

  2. Cette phrase “(et pour certaines l’arrachage de cheveux est un acte lié au deuil qui lui aussi est codifié)” m’a complètement faite “tiqué”. Je n’étais pas au courant de cet aspect et comme ce serait “codifié”, je serais heureuse d’en connaître plus sur ce sujet.

    Sinon, encore un bel article. Suis-je bizarre si je trouve les robes magnifiques ?

    1. Merci 😀 Alors déjà pour les robes je suis d’accord à 100% haha ! Pour l’arrachage de cheveux, dans une des sources de l’article (la première il me semble) ils parlent bien d’un acte vraiment physique ce qui je trouve est très violent et symbolique.. ^^

  3. Dans notre famille, lors ce que nous sommes en deuil nous partons du blanc. Parce que le blanc est synonyme de renaissance,la mort n’est pas perçu comme une fin mais comme en commencement. Ton article est très intéressant comme d’habitude.

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