La question qui me revient de plus en plus souvent au contact régulier des journalistes dans mon travail, c’est celle de la mouvance Death Positive. Si cette mouvance venue des États-Unis s’adapte dans ses revendications et volontés à un public américain, la question de son expansion et implantation ailleurs se pose désormais. Afin de répondre à ces questions, sachant que je ne me reconnais pas nécessairement dans ce mouvement, je tiens tout de même à aborder cette question sur mon média pour plus de clarté. C’est une réflexion de plusieurs années qui est toujours en cours, et qui progresse au fil des ans, puisque j’observe l’évolution du marché autour de la mort, sa perception et également ses changements. Pour le meilleur comme pour le pire.
Un nom anglais pour une mouvance américaine
De par son nom, il n’est pas difficile de comprendre que ce terme est né dans un pays anglophone. C’est en effet le cas, puisqu’il est principalement porté par The Order of the Good Death, une organisation à but non lucratif. Site web riche en informations pour les américains, l’objectif de cette plateforme et de sa fondatrice Caitlin Doughty est d’aborder diverses problématiques autour de la mort dans leur pays.
Ainsi, la chronologie de ce mouvement est explicitée par des dates, correspondant à diverses revendications autour de la mort et du bien mourir au cours du XXe siècle. Certains aspects interrogent, à l’image de certaines dates énoncées. Par exemple, aux yeux des américains, les Death Café permettant de se retrouver pour parler de la mort dateraient de 2011 et seraient nés en Angleterre. Or, en Europe, les Cafés Mortels sont l’œuvre du chercheur Suisse Bernard Crettaz (qui nous a quitté il y a peu) mis en place en 2004 afin de “parler de la mort au bistrot”. En résumé, le Death Positive dans sa présentation et dans sa chronologie se base sur un modèle américain ou plus largement anglophone conçu pour les américains et avec un regard…américain.
Le Death Positive n’inclut par conséquent pas ou peu des notions européennes, chose en inadéquation avec notre propre histoire funéraire sur le vieux continent.
Des principes et des positions
Le mouvement Death Positive se caractérise par une suite de principes édictés sur leur site internet afin de permettre de mieux comprendre les motivations de ses fondateurs et participants.
Une liste de 8 principes qui prônent la transparence et la fin du tabou autour de la mort. Des volontés qu’on est nombreux à porter partout dans le monde, en particulier lorsque l’on décide de parler ouvertement de ce sujet par le biais de nos études ou de nos métiers sur internet. Je pense par exemple à mon amie Claudia Crobatia aux Pays-Bas et son mouvement Death Awareness et bien d’autres. Penchons-nous du côté de la traduction des points du Death Positive américain.
Je crois que cacher la mort et la fin de vie derrière des portes closes fait plus de mal que de bien à notre société.
- Je crois que la culture du silence autour de la mort doit être rompue à travers les discussions, des rassemblements, l’art, l’innovation et l’éducation.
- Je crois que parler de mon inévitable mort n’est pas morbide mais qu’il permet d’afficher une curiosité naturelle à propos de la condition humaine.
- Je crois que le corps mort n’est pas dangereux, et que tout le monde devrait se responsabiliser (si ils le souhaitent) à prendre soin de sa propre mort.
- Je crois que les lois qui gouvernent la mort, la fin de vie et les soins palliatifs devrait s’assurer de respecter les derniers voeux d’une personne peu importe sa sexualité, son genre, son origine et son identité religieuse.
- Je crois que ma mort ne devrait pas impacter négativement l’environnement.
- Je crois que ma famille et mes amis devraient connaître mes dernières volontés et m’assurer d’avoir bien transcrite ces dernières à l’écrit.
- Je crois que mon ouverture et mon engagement à propos de la mort peut faire une différence et changer une culture.
Voici les points majeurs de la mouvance Death Positive aux États-Unis. On ne peut être en désaccord avec certains points, comme ceux qui abordent le fait de parler davantage de la mort et de briser un tabou. En revanche, si certains principes peuvent être transposés à notre échelle, il est important de rappeler que l’histoire funéraire de votre pays (le mien est la France par exemple) n’est pas celle des États-Unis. Par conséquent, de nombreuses problématiques soulevées là-bas ne sont pas forcément les mêmes chez nous. C’est en cela qu’il est important d’avoir une part de recul lorsque l’on se confronte aux données américaines concernant la mort. La Mort aux Etats-Unis n’est pas la Mort chez vous.
Le point 5 par exemple pris du point de vue américain répondra aux problématiques locales et à des enjeux légaux qui sont différents d’un pays à un autre. Idem pour les questions de dialogue autour de la mort. La mouvance montre une histoire de revendication funéraire au cours du XXe siècle. En France, la notre remonte…à la fin du XVIIIe pour notre histoire récente et nos réformes funéraires. Et au regard de notre histoire funéraire, on n’a pas attendu le Death Positive américain pour parler de la mort, encore moins si on pousse l’étude aux siècles précédents.
Une mouvance qui a évolué
Il y a déjà une dizaine d’années, lorsque je recherchais des éléments me permettant d’être moins seule dans ma quête de communication à propos de la mort à destination du plus grand nombre dans mon pays, il est devenu assez évident que le modèle américain par le biais du Death Positive était un modèle solide.
A l’époque, je dirai vers 2014/2015, on n’avait pas en France en dehors des discours des entreprises funéraires, de personne qui prenait à bras le corps ce sujet. D’où la réflexion de commencer à le faire à ma façon début 2017 en créant mon média. Et c’était quelque chose de difficile, tant le sujet était complexe à aborder, m’offrant ainsi aux foudres de pas mal de personnes qui n’avaient jamais entendu quelqu’un parler du sujet en ligne. Les temps ont changé, le Covid est passé par là aussi, et soudainement, on a pris plus globalement conscience que la Mort méritait bien une petite place parmi nous. De là, tout a commencé à émerger.
Au fil des années, je me suis de toutes façons rendue compte que les préceptes avancés par l’organisation américaine avaient des raisons d’être, puisque pour énormément de gens, ce que nous faisons avec les morts anciens ou récents était difficile à percevoir en termes professionnels. De plus, beaucoup de gens se sentaient seuls dans leur deuil et n’avaient pas d’espace ou de moyens d’en parler. Et surtout, cela était difficile à aborder avec l’affect ou le traumatisme d’une mort proche pour beaucoup.
Si à mes débuts dans mon approche de la communication autour de la mort j’abondais dans l’esprit du Death Positive, progressivement cela n’a plus été à 100% le cas. En effet, sur les revendications humaines, celles qui abordent le tabou ou encore sur les questions égalitaires, je suis bien entendu d’accord. La transparence et surtout la dignité de tous les individus dans la mort peu importe le niveau financier et social doit être quelque chose de fondamental. Or, nous le voyons, mourir est aussi une source d’inégalité. Mais cela, au regard de l’histoire funéraire, ça a toujours existé. Et ce n’est pas parce que quelque chose est vieux comme le monde qu’il est forcément bon.
Là où j’ai senti un clivage certain, c’est lors de l’apparition de plusieurs éléments liés à un certain consumérisme autour de la mort lorsque la mouvance est arrivée en France. Et c’est le premier point que je veux aborder dans cet article. Bien que des initiatives 100% bienveillantes et bénévoles existent, toutes n’ont pas nécessairement les mêmes buts et les mêmes objectifs.
Le Death Positive en France et ce que l’on nous vend
Là où le modèle américain a mis des années à se rapprocher du domaine commercial, l’arrivée en France de la mouvance s’est directement rattachée à l’idée de commerce. Si l’export des principes est visible ici, et légèrement ré-adaptés, on constate que l’ajout de prestations non obligatoires s’est rapidement fait une place. Au centre de ces discours, la réinvention des rites face à une société qui est perdue lorsqu’elle ne se retrouve pas dans le dogme religieux. Ce qui dans l’absolu est un vrai problème de société qui laisse plein de gens sans réelle réponse, à ces questions de la réinvention des rites on propose : des alternatives sous forme de prestations.
Je le rappelle, la notion de “réinvention des rites” est assez antinomique avec l’idée même du rite : un ensemble d’actes connus et reconnus d’un groupe qui s’opèrent à un moment particulier comme les funérailles. Par conséquent, ces actes rassemblent et permettent la bonne conduite d’un rite. Le rite est par ailleurs un mot qui fait toujours débat en anthropologie tant sa définition est complexe.
Réinventer un rite ne veut à mon sens rien dire lorsque cela est à l’échelle personnelle puisqu’elle n’inclue pas l’idée de groupe.
Cette idée est déjà très répandue lorsque l’on se forme au funéraire puisque l’on nous répète que la personnalisation devient petit à petit une norme. Je dirai même qu’elle devient aussi, d’une part une injonction déguisée. Là où certains donneraient des pistes pour des alternatives gratuites de personnalisation, d’autres appuieront, sous couvert de bienveillance funéraire, de faire appel à des prestataires.
Ce qui en soi est bon pour l’économie, bon pour celui qui se sent bien et qui peut faire appel à ces prestataires pour son défunt…mais quid des autres? Celles et ceux qui ont déjà des difficultés à payer des funérailles classiques en ne prenant que les prestations de base obligatoire ? Les funérailles de base ont un coût qui s’explique, le nombre de salariés impliqués ainsi que le matériel ont un coût qui se répercute sur la note. Mais ici, je pointe surtout les prestations non obligatoires qui sortent du cadre classique des funérailles.
Derrière cette idée mercantile bienveillante, se cache une injonction qui a des répercussions directes sur les plus pauvres et cela créé de nouvelles inégalités funéraires. Sans oublier le discours associé à cela. Plus les gens se retrouvent face à des individus qui leur disent qu’ils honoreront mieux le défunt en ultra personnalisant, plus ce manque de faisabilité dans les familles pourra être vécu comme un échec, voire de mauvaises funérailles. Et cela est bien plus courant qu’on peut le croire puisque la culpabilité est aussi un argument dont certains commerciaux se servent pour vendre des produits et prestations plus onéreuses. Là où l’on vous propose de trouver vos professionnels dans des annuaires professionnels sur la base de leurs qualités, ces derniers paient en réalités pour apparaître dans la dite base de donnée. Le consommateur est alors d’une certaine façon un peu trompé ignorant les conditions financières d’un tel dispositif.
Lorsqu’un groupe de santé table sur l’organisation de grands évènements autour de la Mort pour “mieux en parler” avec pour objectif de récupérer des adresses email en vue de vendre des prestations de santé, est-ce réellement fait pour le bien des endeuillés? La responsabilité des professionnels de recherche autour du funéraire est aussi importante puisqu’accepter d’intervenir dans ce type d’évènement est aussi accepter d’entrer dans un système de récolte de prospects pour l’organisme organisateurs.
A cela s’ajoute un autre problème, celui de métiers non contrôlés.
L’émergence de métiers non encadrés
Autre point qui me semble important, c’est que ce renouveau funéraire passe comme nous l’avons vu par des questions matérielles, rituelles et pratiques mais également la propulsion de nouveaux métiers pas nécessairement encadrés.
Les métiers de la mort sont dans leur majorité encadrés par des diplômes nationaux, et si ce n’est pas le cas, les modalités d’exercice et de formation sont explicités dans ce que l’on nomme le CGCT, le Code Général des Collectivités Territoriales. C’est le document qui permet de savoir comment s’organisent les métiers du milieu. Or, dans les mouvances positives francophones, la mise en avant de métiers non encadrés du domaine des thérapies, des accompagnements ou encore des rites liés à des spiritualités nouvelles prennent de plus en plus de place. Un élément alarmant au regarde des dérives qui existent dans le domaine du coaching ou encore de l’accompagnement et du soin lorsque cela est encadré par des professionnels répertoriés nulle part dans les annuaires médicaux et ne possédant pas de diplômes reconnus en France.
Il est important de rappeler qu’un individu qui vit un deuil n’est pas en état d’être pleinement conscient des choses autour de lui. Et cela est aussi la porte ouverte aux abus sur une population déjà mentalement affaiblie au discernement fortement troublé. E t dans ces émergences se trouve également un problème auquel je me suis heurtée, celui de l’appropriation culturelle.
En effet, dans la quête de nouveaux rites et de nouveaux accompagnements, cette appropriation se trouve au coin de la porte et cela, bien que pour beaucoup en France cela ne soit pas une problématique majeure, dans le cadre de mon travail cela est le cas. D’où l’importance également d’alerter sur cet élément dans le cadre de cet article.
Dans le flou de l’émergence de ces métiers fleurissent également des formations non encadrées et dont la validation finale n’a aucune signification professionnelle ni valeur juridique. Prudence.
Un résultat très différent du modèle américain
Ainsi, au regard de ce qui existe en France se rapprochant d’une idée de mouvance funéraire positive, les différences avec le modèle américain sont flagrantes sur ces aspects mercantiles et de porte ouverte à des métiers non encadrés. C’est malheureusement un travers qui est visible dans de nombreux domaine, et même si il y a officiellement une volonté de briser le tabou autour de la mort, la partie commerciale et plus trouble ne peut pas être ignorée.
Idem pour le point concernant l’information et l’éducation autour de la mort. Si l’on parle plus de la mort, cela ne veut pas dire qu’on le fait bien. La preuve, de nombreux articles présentant des innovations funéraires, ne précisent pas le cadre légal en France. Tik Tok est une mine de désinformation et de vidéos éthiquement problématiques. Le résultat : des gens qui se demandent si ils peuvent se faire enterrer dans un oeuf pour devenir un arbre sur la base d’un prototype étranger nullement validé en France pour n’en citer qu’un.
De facto, les professionnels du funéraire conscients des lois et des règles de leur pays sont obligés de rectifier le tir régulièrement face à cette désinformation. Cela est préjudiciable et il est difficile de demander au public de se faire un avis sur un sujet qu’il ne connaît pas et pour lequel il cherche des clés.
Une glamourisation des métiers de la mort : une vision faussée
Autre part non négligeable lorsque l’on parle des mouvance Death Positive francophones, c’est aussi l’émergence relativement logique de personnes parlant de leur métier. Si certains le font très bien, ce n’est pas le cas de tous. L’image renvoyée est bien souvent très éloignée de la réalité du milieu professionnel. Il n’y a qu’à regarder le traitement journalistique autour du Death Positive en France – pour l’avoir testé moi-même en étant interviewée – la majeure partie du temps, lorsque l’on porte un discours autour des acquis et des droits, sans oublier les réalités professionnelle de ce milieu, on est bien souvent muselé. Cela ne va tout simplement pas dans le discours du Death Positive tel que cela intéresse le grand public et le monde journalistique. Or, pour que les vivants puissent bien s’occuper des morts, il faut que ces vivants soient considérés et bien dans leur peau. En bref, en découvrant la mouvance en France et son arrivée ici, on occulte bien souvent les problèmes de fond pour rester en surface. Là où les médias continuent à inviter des professionnels avec une bonne visibilité pour démystifier toujours les mêmes idées autour du funéraire, personne n’a la parole pour parler des questions de fond comme les conditions de travail, la valorisation de ces métiers du point de vue de la société ou encore l’inclusion. Le discours recherche est par conséquent normé et vend une image du monde funéraire qui n’est pas la bonne. D’où les nombreuses déceptions de celles et ceux qui entrent dans le milieu et qui réalisent que les attentes sont exigeantes, les conditions de travail complexes avec des heures et des salaires qui ne sont pas forcément en lien avec leurs attentes non plus, et où il y a des attentes commerciales et financières inhérentes à la vente de prestations.
La rigueur attendue dans ces métiers et le grand besoin de traçabilité et de connaissances juridiques peut alors en désarçonner plus d’un qui aurait idéalisé la profession.
Un clivage entre les besoins et les propositions
Pour en revenir à la partie pratico pratique de cette mouvance et des prestations qui sont crées prenant pour appui l’idée de “mieux vivre la mort”, il y a une autre réalité : celle des besoins.
Il suffit de faire un tour dans un salon du funéraire pour voir que fleurissent des innovations qui ne sont pas nécessairement en adéquation avec les besoins des gens et des professionnels. Là où l’on peut voir de véritables effort pour aider au dernier au revoir par le biais de créations design, on se rend rapidement compte qu’elles sont peu utilisables dans la vraie vie. Quid des consommateurs ? Là où de nombreuses personnes apprécient les choses classiques, parfois ces innovations vont se heurter à une réalité de terrain, là où les professionnels sur place ne sont pas nécessairement écoutés. Ainsi, il y a un clivage important entre ce que l’on peut voir passer dans les idées Death Positive en France et de prestations qui y sont associées (ouvertement ou non), et l’application dans la vraie vie qui parfois n’est pas du tout possible tant du point de vue des rites, que du point de vue pratique.
Pour conclure, est-ce que le Death Positive est réellement positif pour soi, où bien est-il par conséquent très positif dans un modèle économique et un discours qui va en ce sens ? Parler de la mort sans tabou est une réelle avancée, mais si elles conduisent à des ventes de prestations par la suite, est-ce vraiment dans l’idée du bien être des endeuillés ?
Mort positive, oui, mais pour qui en définitive ? Au regard des pratiques, je me pose sincèrement la question. Même si les efforts pour parler de la mort en groupe sont réels en France, que de plus en plus de moyens de communication sont mis en place, j’observe toujours avec un oeil d’analyse critique. C’est aussi ça la recherche en thanatologie à mon sens, prendre du recul et analyser ce qui a lieu dans le domaine pour mettre quelques freins à un discours très modéré voire consensuel.