Selfies funéraires – vanité, deuil et internet.

selfie funéraire

Aujourd’hui j’avoue tout.

Mon péché mignon, c’est de trouver des selfies lors de funérailles en flânant sur internet. Souvent, en scrutant l’actualité funéraire, je découvre de nouveaux articles mi choqués mi amusés par la prise de selfie en face d’un cercueil ou d’un défunt. Une pratique souvent décriée mais qui s’explique de plusieurs façons tant sociales que psychologiques. Le selfie étant souvent pointé du doigt comme le reflet d’une société malade et assoiffée de son propre reflet, j’ai envie de me pencher sur ce sujet qui peut s’aborder de plusieurs points de vue.

Tout d’abord, se prendre en photo à des funérailles n’est absolument pas nouveau et de nombreuses photos de groupe datant du début XXe comme par exemple dans les pays des Balkans, viennent nous montrer que prendre la pose à un enterrement ou à une veillée devant le cadavre n’est pas une nouveauté. Une pratique par extension qui fait penser aux photos post-mortem bien que le rapport ne soit pas exactement le même puisque la photo post-mortem montre le mort comme si il était encore en vie ou endormi tandis que les photos de funérailles sont explicites sur la situation.

Tout d’abord des chiffres des selfies funéraires car les maths c’est la vie.
En 2015, un papier passionnant est sorti intitulé Selfies at Funerals: Mourning and Presencing on Social Media Platforms écrit par un ensemble de chercheurs de l’Université de Melbourne en Australie. Le phénomène intrigue bien sûr les chercheurs et en particulier pour comprendre pourquoi ces selfies sont faits et quel est aussi leur rapport entre notre monde moderne et notre façon de vivre le deuil. Une étude qui part du succès d’un Tumblr en 2013 appelé Selfies at Funerals qui regroupe des imprim écran de selfies à des funérailles (pendant ou avant). Les chercheurs se sont concentrés sur l’utilisation d’Instagram en se basant l’ensemble des selfies funéraires mais aussi la relation aux #. Une étude passionnante qui conclue qu’Instagram étant un véhicule d’image et d’émotions, la présence de ces selfies n’est pas étonnante et répond au besoin de soutien souvent apporté par une communauté virtuellement proche, au besoin de supporter le choc et la perte mais aussi de faire acte de représentation. Ainsi, plusieurs études ont été faites dans différents pays anglo-saxons avec par exemple pour les études britanniques une concordance des comportement chez les plus jeunes (millenials) mais aussi dans d’autres tranches d’âge. Ainsi, un tiers des endeuillés interrogés sur les 2700 de l’étude anglaise avoue prendre un selfie au funérailles.

Un comportement qui soulève souvent indignation mais qui semble plutôt logique compte tenu de l’usage que nous faisons des réseaux sociaux au quotidien. En ce sens, divers articles sortent de façon sporadique autour de l’agacement des employés de chambres funéraires autour de cette attitude.

Les directeurs de maisons funéraires demandent aux endeuillés d’arrêter de prendre des selfies après des faceswap (échange de visages via l’application) pour participer à une mode de mauvais goût.

Car évidemment, un acte sans conséquence d’une prise de photo de défunt à des funérailles pour un usage personnel ne peut être comparé à une prise en photo d’un selfie avec le défunt pour un usage public. C’est en ce sens que les choses sont parties dans tous les sens occasionnant en effet un très grand nombre de faceswap avec les morts lors de présentation de cercueil ouverts puis bien sûr, mise en ligne sur les réseaux sociaux. On fait face alors à un comportement qui dépasse entièrement le deuil et déshumanise en quelques sortes le défunt. A mon sens, il serait intéressant d’interroger les auteurs de ces selfies pour dresser un profil psychologique pouvant aider à comprendre leur démarche plutôt que de suite s’indigner car je reste persuadée que l’explication doit être intéressante si il y en a une. L’usage de certains # sont d’ailleurs parlants, ci-dessous on a #deadselfie #Funny qui se rejoignent (selfie mort et drôle pour la traduction). N’oublions pas également que beaucoup de personnes utilisent l’humour pour dédramatiser la mort et prendre du recul. Ainsi, ce sont des études qui restent à faire et qui sociologiquement s’avèrent passionnantes pour traduire l’évolution du rapport avec les défunts et la technologie.

Mais le selfie fait entièrement partie de nos usages du quotidien, c’est un acte d’une banalité sans nom qui ne choque plus personne car c’est entré dans les mœurs. L’usage du selfie dans le cadre funéraire n’échappe pas à cette règle et n’est pas forcément quelque chose de malsain. Ce qui est malsain, c’est l’usage et la façon dont cela peut être fait. Pour m’expliquer un peu plus, je vous emmène en Amérique où le selfie est ultra présent mais également dans le cadre funéraire.

Le selfie funéraire : le cas américain

Difficile de choisir une zone pour donner quelques exemple concrets, mais j’ai choisi les États-Unis car il y a un grand nombre d’émission de selfies funéraires, qu’ils portent sur le avant, le pendant ou le après pendant le repas de funérailles. Dans les types de selfies, on constate aussi bien du OOTD (Outfit Of The Day, tenue du jour) ou bien des selfies en famille dans la chambre funéraire et enfin les selfies avec le mort car la présentation de défunts cercueil ouvert est très courante.

Finally! is listed (or ranked) 8 on the list 51 People Who Actually Took Selfies At Funerals

Pour la question des OOTD funéraires, cela est très simple et n’est pas du tout un usage récent. Comme je le rappelle dans cet article dans la mode pendant les funérailles, la tenue de deuil est un marqueur social important et cela est bien sûr connoté avec le lien que l’on entretient avec le défunt mais aussi l’image que l’on renvoie de soi-même, de son statut et de sa position. Ainsi, il n’est pas étonnant de se mettre sur son 31 pour des funérailles en adoptant un code vestimentaire précis. A cela, l’influence des séries et des films a souvent rendu le deuil glamour de par la mode et souvent assimilés à la séduction également (on n’est pas si loin de l’Eros et du Thanatos). Le selfie est donc un outil et ce même pendant le deuil pour assurer son image même dans les heures sombres. On n’est pas si loin des défilés du XIXe avec des toilettes de haut luxe pour la représentation sociale. Car le deuil n’est pas courant pour la majorité des personnes et fait figure de cas exceptionnel malgré son aspect porteur de drame. L’immortaliser fait aussi partie de la mise en lumière d’un moment exceptionnel de la vie pour beaucoup de gens et encore plus chez les plus jeunes.


Pretty Little Liars est un bon exemple de glamour assimilé au funéraire => influence.
Las cas
La casa de las Flores – Épisode des funérailles

Pour la suite de cet article, j’ai souhaité zoomer sur l’île de Porto Rico car c’est là que se déroulent les scènes de selfies qui heurtent en général le plus souvent les néophytes car on y trouve une des meilleures maisons funéraires des Caraïbes mais surtout, cette dernière excelle dans l’art de la thanatopraxie et de la mise en scène des défunts à leur demande ante-mortem ou selon les souhaits de la famille.

Les morts sont embaumés et exposés – souvent en faisant leur activité préférée ou en compagnie des objets aimés du vivant- et cela permet à la famille de venir les voir mais aussi des personnes plus ou moins proches. Le dénominateur commun est que ces corps sont traités et exposés pour justement répondre à un souhait mais aussi permettre l’immortalisation par la photo. Ainsi, beaucoup posent à côté du corps et font des selfies avec car c’est culturellement et en l’occurrence accepté et encouragé pendant ces mises en scène qui heurtent régulièrement les non initiés. Ici, les corps représentés concernent beaucoup de morts relativement jeunes mais aussi des morts violentes par balle ou autre. Les familles souhaitent parfois dans le cadre de morts résultant de règlement de comptes montrer que même mort, l’assassiné ne se couchera jamais. Alors, l’immortalisation en photo et la scénarisation prennent une autre dimension qui devient non seulement un héritage pour la famille, une leçon de fierté et un message envoyé directement aux assassins. La photo est donc tout à fait acceptée et ne représente ni un affront ni un problème puisqu’elle s’inscrit dans le rite funéraire moderne à part entière.

Christopher Rivera photographié par des proches. Ricardo Arduengo

Ainsi, le selfie funéraire devient un sujet récurrent sur internet et dans les considérations autour de la mort. Il est tout à fait normal de penser à l’évolution de la chose alors qu’en parallèle, photographes funéraires reviennent sur le devant de la scène pour immortaliser les défunts. Ce qui est intéressant dans le selfie, c’est l’usage non privé qui en est fait. Pour ce qui est d’une mise en ligne du duo vivant / mort, on peut bien sûr s’interroger sur ce besoin de publication mais aussi mettre en lumière la démystification du cadavre qu’il permet. Beaucoup de gens n’ont jamais vu un défunt de leur vie, ces selfies participent derrière leur volonté d’être grotesque ou à l’inverse véritablement respectueux d’une personne qui a été aimée, à démystifier le cadavre et la mort. Car pour la majorité des selfies qui sont pris par des très jeunes et des ados (qui eux même sont en phase de construction et de gestion d’émotions intenses) on ne peut juger la façon individuelle de faire son deuil. Si le selfie n’est pas problématique pour la famille ou pour le défunt, c’est que sa prise répond à un besoin (social, émotionnel, psychologique) et qu’en ça, il est préférable de se pencher sur les raisons de ces actes et les comprendre en les analysant plutôt qu’en les jugeant.

Pour terminer cet article, j’ouvre sur une question que j’ai posé à mes abonnés sur Instagram à propos du droit à l’image du mort. Le selfie funéraire ouvre des questions d’ordre juridique car je le rappelle, le défunt ne perd par ses droits et son droit au respect et à la dignité. Ainsi, la question du droit à l’image des morts se pose et n’est pas du tout récente puisque les premières interrogations datent de 1858 avec la diffusion des images d’une actrice défunte dans la presse. Alors, si on se base sur l’article 9 du code civil, le respect de la vie privée est directement concernée et ce même une fois la vie terminée. Mais cela confronte les droits de la personnalité, des litiges qui ont souvent lieu en post-mortem et sont visibles dans les procès concernant des personnalités défuntes et l’usage de leur image. On peut alors se poser ces questions d’ordre juridique puisque le défunt n’a jamais donné (sauf peut-être mention écrite du vivant) l’autorisation de la diffusion publique de son image. Juridiquement, on peut alors plancher sur les questions de préjudices et de droits à la mémoire qui pourront peut être à l’avenir accentuer ces questions en lien avec les lois face à la propagation du selfie funéraire. Pour ma part, je suis très curieuse de voir comment tout cela va tourner d’un point de vue juridique. Ce qui va certainement créer autant de conflits que pour des questions simples entre les membres d’une famille pour la diffusion ou non de l’image. A qui appartenons-nous une fois décédé? Qui protège notre image si la loi possède des failles? Autant de questions qui se posent dans un monde de plus en plus numérique.

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Sources :
Selfies at Funerals: Mourning and Presencing on Social Media Platforms 2015 JAMES MEESE1 MARTIN GIBBS MARCUS CARTER MICHAEL ARNOLD BJORN NANSEN TAMARA KOHN University of Melbourne, Australia

Le droit à l’image des morts Par Maître Alexandre BLONDIEAU

Le droit à l’image des morts

Selfies at funeral

https://www.telegraph.co.uk/news/newstopics/howaboutthat/11815032/One-third-of-mourners-admit-to-taking-selfies-at-funerals.html

https://www.dailymail.co.uk/news/article-4207946/Funeral-directors-tell-mourners-stop-taking-selfies.html

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