Si il y a bien une thématique récurrente mais peu connue, c’est bien celle des bateaux et des défunts. Outre légendes de pirates largement reprises au cinéma à propos de bâtiments fantômes, de nombreuses légendes associent vaisseaux des mers et personnes décédées. Petit tour d’horizon de légendes et d’origines de noms en lien avec cette thématique. Sachant que les légendes sont extrêmement nombreuses et surtout varient entre la vraie symbolique du bateau venant chercher ses morts et les vaisseaux fantômes qui sont un autre type de légende et qui pour autant ne correspondent pas à la prise d’un défunt à bord.
Le corbillard
Pour commencer, le mot le plus associé à la mort dans notre jargon français est le mot corbillard qui défini donc le véhicule qui sert à acheminer le corps du mort à son lieu de sépulture et de repos éternel.
Le mot corbillard remonte donc à sa ville d’origine qui se trouve être la ville de Corbeil puisque les bateaux ravitaillant Paris au Moyen-âge partaient du port de la ville pour rejoindre la capitale. Ces bateaux, sortes de péniches à fond plat appelés corbeillards étaient donc très utile au bon fonctionnement économique des villes et au commerce. C’est au moment des grandes épidémies de peste médiévales que face à l’amoncellement de corps meurtris dans la capitale, l’idée de les entreposer dans ces bateaux à fond plat surgit et on utilisa les corbeillards pour le transport mortuaire. C’est au XVIIe siècle que le mot corbillard désigna un véhicule dédié au transport des personnes décédées.
Outre cette parenthèse étymologique amusante, de nombreux folklores ont dans leurs histoires les plus effrayantes la présence d’un bateau ou bien d’une barque comme véhicule funeste.
Le Naglfar viking
Chez nos amis les vikings, la mort st très présente dans leur façon de vivre (combats, raids, mortalité dans les clans) et fait partie intégrante de leur mythes puisque les défunts morts de vieillesse ou de maladie partent au Hel (qui donnera donc l’étymologie chez les anglais, les néerlandais et les allemands) de Hell ou Hölle qui désigne l’enfer. A contrario les guerriers partent aux fameux Gimlé, Vingolf et au Valhalla pour attendre le Ragnarok (sorte de fin du monde prophétique pour résumer très rapidement puisque la mythologie nordique est extrêmement complexe et variée !). C’est là qu’intervient le Naglfar, le navire qui arrivera durant le Ragnarok dirigé selon les textes par Hrymr ou Loki. Sa particularité réside dans le fait que ce bateau funeste est construit avec les ongles de morts…il était donc de coutume de se couper les ongles chez les vikings pour justement retarder le Ragnarok et accessoirement pour ne pas finir collection d’ongle supplémentaire pour orner le Naglfar. L’inhumation en bateau (en terre ou en milieu aquatique) est aussi une des particularités des rites vikings bien que d’autres types de sépultures (inhumations en cercueil mais également très rares incinérations en Angleterre) ont été retrouvées également. Le bateau était donc un élément très important pour cette culture.
Le Bag-Noz
Anatole Le Braz à la fin du XIXe siècle a publié un recueil sous le nom de Légendes de la Mort traitant des histoires liées à l’Ankou dans le monde breton, signifiant la mort. On retrouve dans ces légendes celle de la Bag-Noz ou barque de nuit est décrite comme un bâtiment à voiles avec le pavillon noir baissé. Ce bateau transporte alors les âmes des marins n’ayant jamais trouvé sépulture ou bien n’ayant pas honoré les saints correctement durant leurs séjours en mer. Comme par hasard, les navigateurs et pêcheurs étaient susceptibles de le croiser près de l’île de Sein avec pour rappel ces fameux dictons très connus par chez moi (Guilvinec représente ) :
“Qui voit Molène, voit sa peine
Qui voit Ouessant voit son sang,
Qui voit Sein voit sa fin
Qui voit Groix, voit sa croix “
Évidemment pour des choses bien plus terre à terre, la mortalité des marins pêcheurs bretons était un sujet sensible dans les siècles passés et à l’heure actuelle il n’est pas rare de voir dans les chapelle en bord d’océan des ex-voto en forme de bateau, ou encore des tombes dont les corps n’ont jamais été retrouvés emportés par l’océan et laissant très souvent des veuves éplorées et surtout sans ressources. Un corps qui n’est jamais retrouvé est une source interminable de peine et de questionnement ce qui empêche le bon développement des phases du deuil. D’autres éléments du folklore disent que les marins portaient donc l’anneau en or à leur oreille pour payer le passage de leur âme en cas de mort en mer ou qu’une pièce était posée dans la main du défunt. Toutefois on voit que la thématique mort + bateau est très vivace encore à l’heure actuelle dans ces régions.
Forcément, je ne vais pas faire un article sans vous parler d’Antiquité puisque vous avez donc remarqué que le fait d’assembler des bâtiments navigants et des passages de défunts vers un autre monde renvoie directement à la mythologie grecque et le passage du Styx !
Les barques dans les mythologies antiques
Pour les grecs, les défunts sont conduits sur une barque par Charon sur le Styx mais le privilège d’être accepté sur la barque dépend de deux éléments : Les prières mais aussi la capacité à pouvoir payer son voyage. La tradition funéraire de placer donc une pièce dans la bouche des défunts (et qui est toujours observée dans certains endroits du monde) prend sa source dans la légende du passage du Styx. Les proches du défunt ont donc une obligation morale de bien opérer le rite funéraire afin que leur proche ne soit pas condamné à errer sur les bords du Styx.
Virgile décrivit alors :
“D’innombrables essaims bordaient les rives sombres;
Des mères, des héros, aujourd’hui vaines ombres,
Tels, vers l’affreux nocher ils étendent les mains,
Implorent l’autre bord. Lui, dans ses fiers dédains,
Les admet à son gré dans la fatale barque,
Reçoit le pâtre obscur, repousse le monarque.”
Cela rappelle forcément à ceux qui s’intéressent à la mythologie à la barque solaire liée au cycle de Rê avec dans le récit l’utilisation de plusieurs barques liées au monde des morts et rappelant la découverte en 1954 de la barque solaire de Khéops dans la nécropole de Gizeh étant un objet d’accompagnement funéraire grandeur nature pour son voyage dans l’autre monde. Encore une fois, la barque ou le bateau sont fondateurs de la mythologie et associés au monde des morts ou du moins au voyage du défunt.
Les Waka
Ma dernière vidéo sur les Mokomokai de Nouvelle-Zélande aborde le voyage des défunts également. En effet, les âmes des disparus montent à bord des pirogues traditionnelles, les waka et ces dernières partent en direction de l’île légendaire de Hawaiki d’où viennent les maoris ainsi que plusieurs autres peuples Polynésiens. Encore une fois on remarque que la morts et les bateaux sont liés et que l’élément eau est directement associé aux défunts. On est là plus sur un cas mythologique où le bateau transporte les âmes et non pas le corps à proprement parler.
Que nous disent ces cas?
Tout d’abord on remarque que les mythes et légendes portant sur les bateaux menant les défunts dans l’autre monde touchent des peuples vivant avec l’élément aquatique à proximité, qu’il soit fluvial ou maritime. Dans d’autres parties du monde, comme au Japon, on retrouve aussi des histoires funéraires en lien avec l’élément eau. Cet élément étant fondamental dans l’évolution des sociétés d’un point de vue de l’hygiène, des ressources et donc nécessaire à la vie et à son développement se voit facilement associé à la mort. Pour autant, l’eau étant aussi chez les trois religions monothéistes un élément important du culte (baptêmes chez les chrétiens, ablutions chez les musulmans, bain en Miqvé chez les juifs) et est alors plutôt assimilé à quelque chose de positif et à une idée de purification. L’eau est donc un élément apportant une double vision dans l’imaginaire collectif :
– La vie, la purification dans le cadre de rites.
– La mort, d’un point de vue très pragmatique mais aussi symbolique avec le transport des défunts.
Également, le bateau qui dans notre vision habituelle n’est pas nécessairement associé à la mort est au final un moyen de locomotion qui a été fortement utilisé dans les mythes et en relation avec le transports des morts. Une belle alternative pour transporter les défunts en lien avec les croyances et la géographie des terres de chaque peuple concerné.
Sources :
Viking Age Archaeology (Shire Archaeology) R. Hall
Sigurður Nordal Völuspa, Reykjavík, Helgafell, 1923, édition révisée en 1952
Griffith, R. Drew. “Sailing to Elysium: Menalaus’ Afterlife (‘Odyssey’ 4.561-569) and Egyptian Religion.” Phoenix 55.3/4 (2001): 213-43.
Sullivan, Francis A. “Charon, the Ferryman of the Dead.” The Classical Journal 46.1 (1950): 11-17.
« La Légende de la Mort » d’Anatole Le Braz
http://cogito.ucdc.ro/2012/vol4n2/en/9_a%20symbolic-usage-of-the-boat-in-japanese-mythology.pdf
Je suis arrivée sur ce blog un peu par hasard et j’en suis ravie. J’apprends rarement autant de choses dans un article, le ton était très agréable aussi. Hop, dans les favoris, et maintenant je vais parcourir les articles !
Un grand merci !! C’est encourageant pour un blog débutant ^^bienvenue par ici !
J’aime beaucoup ! Appris plein de choses.
Juste une remarque sur la forme : la parenthèse pour Hel n’est pas au bon endroit 🙂
Un grand merci je n’avais pas vu malgré la relecture ! 🤗