Interview de chercheurs #3 – La Santa Muerte par Dr Kate Kingsbury et Dr Andrew Chesnut

Mots clé : Santa Muerte, interview de chercheurs, syncrétisme, rite mexicain, anthropologie, thanatologie, vulgarisation de la mort.

Depuis de nombreux mois je souhaite parler de la Santa Muerte. Mais comment quand tant d’éléments concernant ce culte m’échappent ? Tout simplement en faisant appel aux deux spécialistes mondiaux du sujet qui ont accepté de répondre à mes questions pour éclairer les lecteurs à propos de ce sujet souvent confondu avec d’autres ! Andrew Chesnut m’a fait le plaisir de répondre directement en français pour eux deux, un geste fort apprécié même si la plupart du temps je traduis les interviews !

Bonjour à vous deux, tout d’abord merci d’avoir accepté cette interview sur un sujet qui intrigue autant qu’il interroge, celui de la Santa Muerte. Je vous ai proposé cette interview car vous êtes des figures de l’étude de ce symbole.
Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter ainsi que votre sujet d’étude et vos spécialisations ?

Dr Kate Kingsbury a obtenu son doctorat en anthropologie à l’Université d’Oxford. Elle est une spécialiste de l’anthropologie de la religion et ses écrits ont été publiés dans de nombreuses revues scientifiques ainsi que dans les médias. Le Dr Kingsbury est professeur auxiliaire à l’Université d’Alberta au Canada. Elle a fait des recherches sur la religion en Afrique et plus récemment au Mexique où elle a habité dans une petite ville au sud du pays afin d’étudier la Santa Muerte et de pouvoir comprendre d’une perspective émique – de l’intérieur du groupe social- les croyances des adeptes pour son livre à paraître prochainement avec la presse de l’université d’Oxford. Le Dr Kingsbury est une fervente partisane des droits des femmes. Elle travaille également bénévolement pour une organisation à but non lucratif qui vise à autonomiser et éduquer les filles au Ouganda https://uganda4her.org/.

Le Dr R. Andrew Chesnut a obtenu son doctorat en histoire de l’Amérique latine à l’Université de Californie à Los Angeles en 1995 et a rejoint la faculté du Département d’histoire de l’Université de Houston en 1997. Il est rapidement devenu un expert internationalement reconnu de l’Amérique latine (historique et religieuse). Le professeur Chesnut a été choisi comme récipiendaire inaugural de la chaire Bishop Walter Sullivan en études catholiques au VCU en 2008. Les premiers travaux du professeur Chesnut, Born Again in Brazil: The Pentecostal Boom and the Pathogens of Poverty (Rutgers University Press, 1997), retracent la montée fulgurante du pentecôtisme parmi les classes populaires du Brésil après le démantèlement de l’Église catholique romaine. Son deuxième livre, Competitive Spirits:
Latin America’s New Religious Economy (Oxford University Press, 2003)
se concentre sur les trois groupes qui ont le plus prospéré dans le paysage pluraliste de la région, le pentecôtisme protestant, le renouveau charismatique catholique et les religions africaines diasporiques (par exemple, le Brésilien Candomble et Vaudou haïtien). Le livre le plus récent du professeur Chesnut est Devoted to Death:
Santa Muerte, the Skeleton Saint (Oxford University Press, 2012).
Il s’agit de la première étude approfondie du saint folk mexicain en anglais et a reçu une large couverture médiatique.

La Santa Muerte est vue de diverses façon selon les personnes et au final, il y a un grand mélange et une grande confusion autour du sujet. Pouvez-vous nous en dire plus? Qu’est-ce que la Santa Muerte, où trouve-t-on des croyants et dans quel contexte ?


KK: La Santa Muerte est un saint populaire mexicain qui incarne la mort. Elle est le plus souvent représentée comme une faucheuse, avec une faux et un voile. Au contraire des autres saints canonisés par l’Église catholique, les saints populaires sont des figures surnaturelles considérés comme sacrés par la population locale qui ont créé ces saints en utilisant des troupes culturelles familiales pour leur aider avec leurs troubles quotidiens. Les croyants de la Santa Muerte se trouvent surtout parmi les populations défavorisées, mais on constate que les adeptes se composent d’une démographie variée. On trouve des adeptes parmi les trafiquants de drogue qui sacrifient les humains à la Sainte Morte, aux policiers qui
allument des bougies votives comme armement spirituel contre les balles de ces mêmes trafiquants.

La santa muerte et son culte
https://skeletonsaint.com/

Est-ce que nous savons d’où vient la Santa Muerte et depuis quand elle a émergé ? On lit diverses origines potentielles, pré-hispaniques ou encore une réponse à un syncrétisme fort dans les populations concernées. Quels éclairages pouvez-vous apporter à propos de ce sujet pour le lectorat ?

RAC: Le saint populaire mexicain de la mort est le résultat du syncrétisme religieux du catholicisme espagnol médiéval et des croyances Indigènes mexicaines dans les divinités de la mort, telles que la déesse aztèque Mictecacihuatl. Dans le cadre de l’effort de conversion des peuples autochtones au catholicisme, l’Église espagnole a ramené la figure de la Parca, ou la Faucheuse, qui pour les Européens n’était qu’une simple personnification artistique de la mort sans aucun pouvoir surnaturel. En voyant la Faucheuse pour la première fois, certains peuples autochtones l’ont naturellement liée à leurs propres déesses et dieux de la mort et est ainsi née Santa Muerte, qui est mentionnée pour la première fois dans les documents historiques mexicains en 1793 lorsque des agents de l’enquête sont appelés pour enquêter sur les rumeurs selon lesquelles des autochtones chichimèques adoreraient une figure squelettique appelée Santa Muerte. Les inquisiteurs ont découvert que les rumeurs étaient vraies et ont brisé le saint squelette et puni les fidèles chichimèques.

Il y a souvent une confusion entre plusieurs symboles chez les personnes qui ne s’intéressent pas forcément au sujet. Je vois souvent des confusions entre la Santa Muerte, Santa Maria de Guadalupe et la Catrina. Les trois n’ont rien à voir et pourtant la confusion subsiste. Pouvez-vous nous indiquer la différence ?


KK: La Santa Muerte est une sainte populaire qui incarne la mort, nous l’avons vu. Notre Dame de Guadalupe est une incarnation de la Vierge Marie qui selon la légende est apparue à l’indien Juan Diego, sur la colline du Tepeyac près de la ville de Mexico en 1531 et qui est devenue par la suite la figure féminine la plus populaire de l’église Catholique au Mexique et dans le continent Latino-Américain. La Catrina est née en 1910 quand elle à été dessinée par la plume du célèbre
illustrateur mexicain José Guadalupe Posada. La Calavera Catrina est un dessin animé satirique créé pour se moquer des classes supérieures mexicaines du début du XXe siècle, Catrina a une ressemblance remarquable avec les images de Carmen Romero Rubio, la deuxième épouse de Porfirio Diaz, dont la présidence turbulente était l’une des principales cibles de la satire mordante de Posada. Depuis lors son
image est souvent utilisée par les Mexicains dans la fête des morts. Ce n’est pas une figure religieuse.

La Santa Maria de Guadalupe
La Santa Muerte 
La Catrina

Socialement, la Santa Muerte est intéressante puisqu’elle révèle des croyances concernant majoritairement des populations plus pauvres et plus enclines à la délinquance. Est-ce vrai ? Est-ce une caractéristique ?

C’est une caractéristique de bien de saints populaires, pas seulement la Santa Muerte, comme Jesus Malverde et maintes d’autres. Mais l’associer à la délinquance est erroné car la Santa Muerte fourni bien d’autres services telle la guérison, l’aide financière, l’aide avec les problèmes d’amour et de justice.


RAC: Sans enquête académique à grande échelle sur les millions de fidèles de Santa Muerte, il est impossible de savoir précisément qui ils sont. Cependant, d’après nos recherches depuis 2009, la majorité des Santa Muertistas au Mexique sont de la classe ouvrière urbaine. La Santa Muerte a un solide contingent d’adeptes parmi les narcos mexicains mais aussi parmi les forces de l’ordre à tous les niveaux. En fait, dans un article récent, nous explorons le rôle du saint mort en tant que matrone de la guerre contre la drogue au Mexique. Contrairement aux fausses déclarations systématiques des médias, la grande majorité de ses partisans mexicains ne sont pas impliqués dans le crime organisé.

Où se trouvent les croyants du culte de la Santa Muerte ? Malgré le refus du Vatican d’intégrer la Sainte dans l’ensemble des saints de l’église à l’hagiographie bien développée, il s’avère que les dévots seraient en augmentation. Pensez-vous que le culte pourrait éventuellement évoluer ou qu’il restera en marge des pratiques plus usuelles ?


RAC: Nous estimons quelque 12 millions de fidèles à travers le monde, dont environ 70% au Mexique, 15% aux États-Unis, 10% en Amérique centrale et les 5% restants répartis en Amérique du Sud, au Canada et en Europe. Il est assez extraordinaire que le Vatican et même le pape François lui-même aient agi si rapidement pour condamner la sainte mexicaine à peine une décennie après que son culte soit devenu public au Mexico en 2001. Aujourd’hui, on constate que chaque semaine au Mexique un évêque ou un prêtre dénonce son culte comme satanique. Jamais l’Église acceptera la dévotion à la Santa Muerte, car la hiérarchie la considère comme un narco-saint démoniaque dont la vénération viole les croyances et les pratiques chrétiennes.


Récemment aux Etats-Unis est sortie la suite de la série Penny Dreadful qui a eu un vrai succès en France pour la première saison. On y voit une Santa Muerte aux yeux bleu avec plus des attributs de Madone qu’une bure de faucheuse. Est-ce que la série renvoie une image fidèle ou est-elle potentiellement un nid à confusion supplémentaire pour les novices ?

La Santa Muerte de Penny Dreadful : Une vision éronnée


RAC: Nous avons regardé les quatre premiers épisodes de Penny Dreadful: City of Angels et sommes très déçus de la représentation de Santa Muerte. La série télévisée est évidemment fictive, mais le créateur John Logan s’est vanté de la «précision historique» de l’émission, il doit donc être tenu responsable de la myriade d’inexactitudes et d’anachronismes qui y figurent. Pour commencer, l’écrivain espagnol a basé l’apparition de Santa Muerte sur l’évocation mariale espagnole, la Vierge de Macarena, qui n’a en réalité aucun lien avec la sainte morte mexicaine. Un autre faux pas majeur est le rôle de la sœur de Santa Muerte, Magda, la succube démoniaque qui tente de provoquer une guerre raciale et oppose frère contre frère. Dans la vraie dévotion à Santa Muerte, il n’y a aucune sœur ni famille. Ce que Magda et Santa Muerte représentent, il semble, dans Penny Dreadful, ce sont les Saintes squelettes noirs et blancs. qui sont des aspects de la Santa Muerte. La noir représente la Santa Muerte qui soutient les actes sinistres et la blanche qui est l’aspect de pureté et d’innocence de la Sainte Morte.
Que Magda ait tellement plus de temps d’écran que sa sœur ne fait qu’ajouter à l’image négative de Santa Muerte en tant que sainte démoniaque.

Pour terminer cette interview, est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ? Une conclusion ?

RAC et KK: Indépendamment de ce que l’on pense de ce culte de la mort controversé, il exige une attention académique en tant que ce nouveau mouvement religieux à la croissance la plus rapide en Occident. La plupart des nouveaux mouvements religieux, comme la plupart des nouvelles entreprises,
échouent quelques années après leur naissance. Deux décennies après devenir public, le culte de Santa Muerte ne montre aucun signe de ralentissement de son impressionnante expansion mondiale. Le livre à paraître «Daughters of Death: the Female Followers of Santa Muerte» de la Dr Kingsbury avec Oxford University Press éclairera le gynocentrisme thanatologique tant négligé de beaucoup de
dévouement à la mort.

Où pouvons-nous vous retrouver sur internet ? Avez-vous des ouvrages écrits par vous-même et d’autres à recommander aux lecteurs ?

Mon livre, le premier académique en anglais, maintenant dans sa deuxième édition


Notre site d’actualités et d’analyse de Santa Muerte
https://skeletonsaint.com/

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Kate Kingsbury

Un grand merci à vous pour cette interview qui saura éventuellement répondre à quelques questions des internautes ! Ces derniers pourront approfondir le sujet grâce à vos lectures et à vos liens respectifs pour en savoir plus !

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