Rencontre avec Perrine, spécialiste du tourisme mémoriel

Perrinelaguide

J’ai eu la chance au cours du mois d’avril de cette année, de découvrir d’incroyables sites liés à la Bataille de la Somme, et plus particulièrement de nombreux cimetières. C’est l’Agence Somme Tourisme qui a fait appel à moi pour découvrir le patrimoine funéraire local. Au cours de mon séjour (que je vous raconte sur Youtube), j’ai rencontré une guide-conférencière particulière puisque Perrine, est spécialiste du tourisme de mémoire ! Elle a été ma guide au sein de la Nécropole nationale de Rancourt, et à la Chapelle du Souvenir Français. Je me fais un plaisir de vous la présenter à travers une interview concernant le tourisme de mémoire.

Bonjour Perrine, j’ai eu la chance de te rencontrer pendant ma mission de découverte de la Somme où tu as pu me faire une belle visite guidée de la Chapelle du Souvenir Français et de la nécropole national de Rancourt. Est-ce que tu peux te présenter pour mon lectorat ? 

Bonjour Juliette, merci de m’accorder cet interview. C’est toujours un vrai plaisir de partager notre passion. J’ai 25 ans et je suis guide-conférencière dans le département de la Somme, en Hauts-de-France. Passionnée par la Première et Seconde Guerre mondiale, je me suis spécialisée sur la bataille de la Somme, pour la première, et l’histoire de la Shoah et de la Déportation, pour la deuxième.

Perrine la guide, tourisme mémoriel

Comment as-tu décidé de devenir guide conférencière ? Quel a été ton parcours ?

Je me suis passionnée pour l’histoire très jeune. Très tôt, mes grands-parents m’ont fait découvrir les champs de bataille et les plages du débarquement : je ne suis pas tombé dans la marmite, mais dans les livres et les musées. Il y a eu aussi des rencontres, de très bons instituteurs surtout, et enfin, ma première école : le musée Somme 1916. 

J’ai commencé à travailler dans le secteur du tourisme de mémoire il y a près de 10 ans. Tout a commencé entre les grandes vacances du collège et du lycée, j’ai débuté un job saisonnier au sein de ce musée. Ce fut le déclic, la révélation ! En observant les guides lors des visites, j’ai été subjuguée par toutes leurs connaissances, par leur générosité à partager et à transmettre ces dernières avec le public, je me suis dit : plus tard, je veux faire ce métier ! 

J’ai ainsi entrepris des études en ce sens. J’ai eu pour volonté de faire des formations qui soient complémentaires et me permettent d’être polyvalente : études de tourisme, d’histoire, conservation du patrimoine et enfin, muséologie. J’ai eu l’opportunité de réaliser toutes mes études en apprentissage du lycée, jusqu’à mon master 2. J’ai donc réalisé mon cursus scolaire et universitaire tout en travaillant dans le secteur de la mémoire : musée, office de tourisme, administration centrale (ministère des Armées)… Une très belle aventure ! 

Tu t’es spécialisée autour du tourisme de mémoire. Est-ce que tu peux nous dire ce que c’est ?

Si l’expression « tourisme de mémoire » peut surprendre par l’apparente contradiction entre les deux termes – « tourisme », évoquant un loisir, et « mémoire », empreint de recueillement -, cette forme de tourisme correspond en d’autres termes, à la découverte d’un patrimoine historique (cimetières militaires, champs de bataille, monuments…), dans le but d’assurer la transmission de la mémoire des conflits du XXe siècle aux jeunes générations.

Peux-tu nous parler de tes sujets de spécialisation ? Comment es-tu arrivée à travailler sur ces thématiques ? 

Pour la Première Guerre mondiale, je travaille essentiellement sur l’histoire de la bataille de la Somme, celle de 1916, car au combien elle est importante dans ce département. J’ai une appétence particulière pour l’inhumation des soldats, la construction et l’architecture des cimetières militaires. Les cimetières m’ont toujours fasciné, qu’ils soient civils ou militaires. Un cimetière, c’est une photographie de la société à un instant-t, ça nous raconte tellement de choses. C’est un monde où les morts ont leurs droits, sans pour autant gêner l’évolution des vivants. Pour la Seconde Guerre mondiale, j’étudie l’histoire de la déportation raciale et politique. Je travaille beaucoup sur le système concentrationnaire, l’organisation des centres de mise à mort, particulièrement le site d’Auschwitz-Birkenau. Au début de mon cursus universitaire, j’ai passé plusieurs années à étudier la construction de la mémoire, les prémices du tourisme de mémoire et les premiers « pèlerinages mémoriels ». 

Quel type de visiteurs font appel à tes services ? Est-ce que ce sont des gens qui ont un passif familial avec la Première ou la Seconde Guerre mondiale ? 

On voit de tout. Des avertis, des passionnés, des novices, des curieux. Je passe une majeure partie de mon temps avec des groupes scolaires. Lorsqu’il s’agit de groupes d’adultes, certains ont un passif familial ou militaire, en effet. 80% des familles françaises ont un aïeul qui s’est retrouvé dans la tourmente de l’un de ces deux conflits, cela touche toujours d’une manière ou d’une autre.

Sont-ils émus la plupart du temps ? J’ai pris une claque en découvrant mes premiers cimetières de la Somme, j’imagine que je ne suis pas la seule ! 

Je dirais que les enfants sont impressionnés, mais très vite curieux. Ils ont besoin de comprendre, ils s’interrogent. Les adultes se projettent, imaginent un fils mobilisé, un époux qui ne revient pas, un père que l’on ne verra plus, ils sont beaucoup plus dans l’affecte c’est vrai. Le nombre colossal de cimetières militaires éparses dans nos champs surprend toujours, ces sépultures à l’image d’une armée en rang ne peuvent laisser de marbre. 

Perrine la guide, tourisme mémoriel

 

N’est-ce pas trop complexe de travailler sur des sujets aussi difficiles que la mort à grande échelle ou, dans le cas de la Seconde Guerre mondiale, à propos de la Shoah ou de la Déportation ?  

 

On me pose très souvent cette question. Voici ce que je répondais dernièrement : j’aime trop la vie pour parler des guerres sans sourire. On voit de tout dans ce métier, du malheur, du bonheur, du temps qui passe, de l’insoutenable, de la violence. Au fond, je suis dans la vie peut-être encore plus que dans certains métiers. Quand on parle de la
mort au quotidien, quand notre bureau est un immense cimetière, on commence alors à comprendre la vraie valeur de la vie. Enfin, je parle des morts et de la mort, c’est vrai, mais je m’adresse aux vivants et je suis vivante ! 

 

J’ai été fascinée par la fluidité de tes explications et ta capacité à t’adapter aux gens que tu as en face de toi. Quelle est ta “routine” de lecture ou de veille informative autour de tes sujets de prédilection ? 

 

La veille informative est très importante, qu’il s’agisse de nouveaux films ou documentaires, de podcasts, d’articles de recherche, et puis bien sûr, les livres… Je lis beaucoup. Ma bibliothèque est composée à 85% de livres de guerres. Je consacre pas mal de temps à observer les pratiques de mes collègues, afin de m’enrichir de leur expérience et à
remettre en question les miennes. Je suis très attentive aux offres pédagogiques des musées européennes et internationaux sur nos sujets. Certains pays ont une véritable avance sur les pratiques mémorielles, ça m’inspire beaucoup. Que l’on soit en Europe de l’Est ou aux Etats-Unis, l’approche et les médiations diffèrent, c’est passionnant. 

 

Quand tu travailles dans les cimetières, nécropoles nationales et autres lieux de repos éternels, ton “bureau” est finalement peuplé de défunts. Est-ce que tu t’es habituée à leur présence ou est-ce qu’à chaque fois cela te marque ? 

 

C’est une vaste question. Je me suis toujours promis d’arrêter cemétier si je n’y mettais plus le cœur. Cependant, il est nécessaire de savoir prendre de la distance. Pour les cimetières militaires, c’est vrai que, curieusement, on prend ses marques, on a ses petites habitudes, on connait l’emplacement de telle ou telle sépulture et par conséquent, le lieu de repos éternel de tel ou tel soldat, certaines tombes deviennent « familières ». Alors oui, je me suis peut-être
habituée à la présence des défunts, mais sûrement pas à la raison pour laquelle ils sont enterrés ici et là. Je ne suis pas quelqu’un de très émotive, mais cela ne veut pas dire que je ne suis pas sensible, bien au contraire. Une telle passion, ça se vit, ça se ressent ! Je me suis récemment surprise, devant les crématoires de Birkenau, en Pologne, à
avoir beaucoup de mal à terminer mes phrases, la gorge nouée. Cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps, c’est comme-ci, tout à coup, ce que j’avais pu lire, apprendre, voir ou écrire ces dix dernières années, remontait à la surface, sur le lieu même de l’assassinat. 

 

As-tu déjà rencontré des personnes qui trouvaient ta spécialisation un peu étrange autour des sujets liés à la mémoire et donc à la mort ? 

 

Oui, mes amis et ma famille les premiers ! Combien de fois ai-je pu entendre « Mais Perrine enfin, tu n’en as pas marre de parler de tes morts à longueur de journée ? » « Perrine et ses cimetières… » « Perrine et ses soldats »… Je suis contente, car après toutes ces années, mes proches se sont parfois surpris à s’intéresser à mes sujets, à se
laisser tenter par mes visites. Dernièrement, j’ai emmené une partie de mes meilleurs amis sur les traces de la Shoah en Pologne. Certains me voyaient encore réaliser de petits exposés en classe, très jeune, et voilà que je les emmener à Auschwitz-Birkenau. Quelle ne fut pas ma surprise de les voir revenir avec des livres, de me questionner sur le
dernier film sorti sur la déportation, de m’apprendre des choses ! C’est la meilleure des satisfactions…

Perrine la guide, tourisme mémoriel

A la Commonwealth War Graves Commission, j’ai rencontré des anthropologues qui font parler les morts pour mieux les identifier, toi tu les fais parler à travers leur mémoire : est-ce que c’est important pour toi de ne jamais rompre le lien entre eux et nous ? 

Oui je pense que c’est fondamental. Ils appartiennent au passé mais ont pourtant encore beaucoup de choses à nous apprendre. Les guerres d’hier sont un enseignement pour demain. Les soldats de 1918 auraient tant de choses à nous dire s’ils voyaient notre monde d’aujourd’hui..

Tu fais aussi vivre ceux qui ne sont pas identifiés puisqu’il s’agit de n’oublier personne c’est bien cela ? 

C’est vrai, nous essayons de rendre hommage à l’ensemble des soldats, qu’ils possèdent une sépulture connue ou non. Cependant, les meilleurs en la matière, ce sont mes collègues de la Commonwealth War Graves Commission. C’est à cette institution que l’on doit la commémoration si particulière des disparus. Je ne peux m’abstenir de citer le mémorial aux francobritannique de Thiepval… C’est un passage obligatoire lorsque l’on vient découvrir les champs de bataille de la Somme.

Tu accompagnes aussi des voyageurs dans d’autres lieux que les champs de bataille en France et en Europe, peux-tu nous dire où ? 

Je suis aussi guide conférencière en Baie de Somme, sur la vallée de la Somme, et enfin guide-accompagnatrice dans le Tyrol autrichien que j’affectionne particulièrement. Il n’y a pas que les guerres dans ma vie (quoique !) 

Enfin, est-ce que tu peux nous conseiller peut-être des livres ou des films que tu aimes bien autour de la bataille de la Somme ou plus largement autour de la Première Guerre mondiale ? 

Pour les livres, voici quelques ouvrages sur l’inhumation des soldats de la Première Guerre mondiale et la conception des cimetières militaires : 

  • Le ballet des morts de Béatrix Pau, un incontournable ! 
  • Jardin de guerre de Frank Rambert
  • Le guide la Commonwealth War Graves Commission
  • Les croix de bois de Rolland Dorgelés

Pour les films, ils sont trop nombreux, mais je vais vous partager l’un d’entre eux qui m’a beaucoup touché l’année dernière : l’enfer sous terre. Ce film traite de la guerre de mines côté britannique et relate l’une des explosions les plus impressionnantes de la Grande Guerre.

Et pour finir, comment les gens peuvent-ils découvrir tes services et faire appel à toi ? J’invite les voyageurs à faire appel aux services des guides-conférenciers qui ont eu une période difficile avec le Covid et qui sont ravis de reprendre leur activité suite à ces périodes troubles. 

Il est possible de retrouver toutes mes activités et les visites que je propose sur mes réseaux sociaux sous le pseudo « Perrine, la Guide ». Je possède une page Facebook et Instagram que j’alimente presque quotidiennement. Je suis également joignable par téléphone tous les jours, au 06 58 83 45 53 ou par mail : perrine.laguide@gmail.com 

Perrine propose 

• Des visites guidées sur-mesure
• Des visites privées ou en groupe
• Une expertise en terme de patrimoine mémoriel (Première et Seconde Guerre mondiale)

Si vous aussi vous avez envie de découvrir la Somme en compagnie de Perrine, voici où vous pouvez la retrouver :

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