Visite de l’aître Saint-Maclou de Rouen

Découvrir un lieu funéraire aussi exceptionnel que l’aître Saint-Maclou n’arrive pas tous les jours ! Alors que je me rendais à l’Université de Rouen pour y faire cours, j’ai profité d’une matinée pour découvrir un lieu tout juste rénové au cœur de la ville. En termes funéraires, l’aître se caractérise par ses galeries à ossuaires et ses décors. Très peu sont encore en élévation à l’heure actuelle, d’où l’importance de leur entretien et de leurs rénovations. Je vous emmène visiter ce lieu pas banal, classé Monument Historique, que vous devez absolument mettre sur votre liste de visites taphophiles !

Un cimetière lieu de vie

Le cimetière médiéval, dans sa forme la plus classique, n’est pas extra muros comme pour les nécropoles antiques. Il se démarque par sa proximité au quotidien avec les vivants près des lieux de culte. Impensable alors d’inhumer en dehors d’une terre consacrée, l’aître Saint-Maclou est par conséquent lié à la paroisse du même nom.

Un aître, à cause de sa position centrale dans la ville, devenait assez naturellement un lieu de vie, en plus d’être un lieu pour les morts. Il faut imaginer une cour centrale avec de la terre où l’on inhumait ces derniers. Comme dans de nombreux cimetières médiévaux, on y croisait des marchands, des mendiants, des artisans … on est loin de la vision contemporaine que nous avons du cimetière, lieu calme et reposant, dont l’organisation découle des lois de la fin du XVIIIe. 

Au sein de l’aître médiéval, on  pratiquait des inhumations anonymes, il n’y avait pas de nom au dessus des dépouilles. Les corps étaient inhumés de façon individuelle en cercueil ou en linceul. Quant aux fosses communes, ces dernières concernaient principalement les morts d’épidémies. Et bien que l’on puisse imaginer que les dépouilles étaient jetées à la hâte, l’archéologie des épidémies nous prouve que bien souvent, un soin était apporté aux fosses communes dans ces contextes. 

Il faut dire que la ville de Rouen n’est épargnée ni par la violence, ni par la maladie. En effet, au cours du XIVe siècle, et plus précisément en 1348, elle est frappée par la vague de peste qui terrifie l’Europe.  La petite zone qui servait à inhumer initialement les morts est devenue soudainement bien trop petite pour l’afflux de dépouilles, et l’aître que nous voyons de nos jours est déjà une version agrandie et enrichie de la zone d’inhumation initiale. On distingue alors le “petit aître” et le “grand aître” dans le paysage rouennais du XIVe siècle.  On constate que les agrandissements sont des réponses aux problèmes de gestion de l’espace cémétérial, et les textes viennent appuyer que cela découle de la situation épidémique.

Proposition de reconstitution de l’aître et de son ossuaire par Anatole Laquerrière en 1909 © Archives départementales de Seine-Maritime

Des inhumations et des ossuaires

La forme définitive de l’aître n’est pas arrivée en un jour. Elle est le résultat de phases successives de constructions annexes, et d’évolution des besoins. Initialement, les galeries que nous voyons ne datent pas du XIVe siècle. Ces trois galeries datent en réalité de la première moitié du XVIe siècle alors que l’aître a besoin d’être agrandi. Il faut dire que ce dernier a déjà fait l’objet d’agrandissements au cours du XVe siècle, mais manifestement, cela ne suffisait pas.

Au regard du bâtiment, l’hypothèse avancée est celle de la présence d’un ossuaire visible dans les combles des galeries. En créant un ossuaire, les fossoyeurs pouvaient extraire les corps décomposés et squelettisés, en ne gardant que les os, afin de les entreposer et faire de la place dans la zone d’inhumation. Ainsi, ils n’allaient pas à l’encontre des règles de l’Église qui demandaient à ce que les corps restent intègres pour se relever le jour du Jugement dernier. Les fossoyeurs libéraient de l’espace en pratiquant des réductions de corps. Une pratique que j’évoque dans le cours de thanatologie dédié à l’inhumation avant le XIXe siècle. De cette pratique du fossoyage, que l’on imagine récurrente, découle une part des ornements que l’on peut observer dans l’aître, avec des pelles ou encore des pioches, mais aussi des os humains sculptés. Néanmoins, les fouilles archéologiques n’ont pas révélé le système qui aurait pu permettre aux fossoyeurs d’accéder aux galeries afin d’y entreposer les ossements.

Qui a été enterré ici ?

Pour savoir qui était inhumé ici, il faut se pencher sur les résultats des fouilles opérées au cours du XXIe siècle. L’activité funéraire étant relativement étendue sur place, du XIVe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe, les couches à fouiller étaient nombreuses. Impossible de fouiller toutes les sépultures du sites, néanmoins le panel des fouilles de 2016 à 2018 est égal à 550 individus étudiés. Leur étude paléopathologique est en cours de production et de rédaction au sein de la thèse de Camille Coupeur. Néanmoins, certains échantillons montrent une population carencée selon les époques, ainsi que des maladies telles que la tuberculose, la syphilis ou encore le scorbut et bien entendu la peste. Ces éléments permettent de mieux comprendre les évènements qui ont pu se produire à Rouen au fil des siècles, mais également qui était inhumé dans l’aître. Au regard des maladies observées comme la tuberculose ou la syphilis, il est très probable que les conditions de vie et d’accès aux soins et à l’hygiène étaient très limitées pour les populations inhumées sur place. Un élément visible également au sein des tombes individuelles où les micro fragments de linceuls se sont avérés être de qualité moyenne. Quant à la peste, sa traçabilité est difficile en archéologie, puisqu’elle demande des analyses poussées en laboratoire afin de la repérer. Un individu a présenté des traces concordantes, mais il est mort au XVe siècle. Cela ne colle pas avec la grande vague du XIVe, néanmoins, la peste a pour particularité de se diffuser par vagues, apparaissant et disparaissant dans le paysage jusqu’au XVIIIe siècle en France.

Des épisodes de podcast ont été conçus pour en savoir plus sur les fouilles archéologiques.

L'art macabre de l'aître Saint-Maclou

“On doit attribuer à une cause semblable l’histoire, rapportée par Raufft, d’une femme de Bohême, qui, en 1345, mangea, dans sa fosse, la moitié de son linceul sépulcral.” Dictionnaire infernal, Collin de Plancy, 1863

L’une des particularités de l’aître Saint-Maclou est bien de proposer aux visiteurs de découvrir ses décors macabres. C’est au cours d’un des agrandissements du XVIe siècle que les décors prennent place sur les poutres et sur les piliers de l’aître. 

Sur les éléments en bois se trouvent des motifs faisant office de Memento Mori, sans oublier quelques symboles liés à la Passion du Christ et à l’activité de fossoyage des lieux. C’est très amusant car chaque crâne est différent, ils ont tous une expression qui change. C’est même difficile de se dire que l’on est face à un type d’expression d’art macabre ancien en si bon état.

Néanmoins, ce qui est vraiment considéré comme un joyau historique au sein de cet aître, ce sont les piliers de pierre. Le visiteur y verra les fragments de scènes qu’il aura bien du mal à déchiffrer sans un peu d’aide…il s’agit d’une des seules danses macabres en pierre d’Europe. Sur chaque pilier se dessine un détail de la danse. Comme le veut le principe du motif, on retrouve un personnage vivant accompagné d’un squelette qui l’emmène. Il y a le roi, le pape, le marchand, le paysan, en bref tous les statuts sont présents et la mort sous la forme des squelettes également. A l’ouest de l’aître se trouvent les personnages non religieux, et à l’est ceux qui le sont.

Malheureusement, les visiteurs ne pourront deviner que des morceaux minimes de cette oeuvre incroyable qui a très probablement été détruite quelques décennies après sa création, lors des années 1560 et les guerres de religion qui faisaient rage à cette époque.

Une Danse macabre est un défilé, une suite, une procession de personnages représentant les divers états sociaux, chacun étant accompagné de son mort. Elle peut se composer de vingt à quarante couples selon l’endroit qui l’abrite.

Définition issue du site de l'association danses macabres d'Europe

Nous l’avons vu, Rouen a été secouée par des vagues de peste, et la danse macabre est un écho à ces temps troublés dans l’art. Un temps troublé par la guerre mais aussi les mauvaises récoltes et la famine. De quoi décimer la population de façon drastique. La première danse macabre remonterait à la première moitié du XVe siècle, et se trouvait peinte dans le cimetière des Saints-Innocents (aujourd’hui disparu) à Paris. Il est tout de même possible d’en découvrir dans plusieurs églises en Europe à l’image de celle de la Chaise-Dieu dont je vous parlais en vidéo en 2021.

Par ordre d’apparition : 1. Proposition de reproduction des Saints-Innocents à Paris. / 2. Détail de la danse macabre de la Chaise-Dieu. / 3. Bois anonyme visible au musée Vivant Denon de Chalon-sur-Saône, XVIIe siècle.

Est-ce qu’il est possible de savoir à quoi ressemblait cette danse macabre à l’époque de sa création ? Difficile à dire, l’exercice reste périlleux. Dans les archives on retrouve des croquis du XIXe siècle à l’image de ces relevés datant de 1846 par Eustache-Hyacinthe Langlois. 

Les plus observateurs pourront constater, au regard de ces croquis, qu’il n’y a pas que des duos de squelettes et de personnages. Il est vrai que certains piliers offrent des décors bibliques, comme celui d’Adam et Eve près de l’arbre. L’aile nord de l’aître voit ses piliers ornés d’un motif antiquisant, celui des sybilles.

Au centre de la cour se trouve une croix qui date de 1818. Elle remplace celle détruite lors de la Révolution. 

Il faut imaginer cette cour comme étant le lieu d’inhumation des rouennais du quartier du XIVe siècle, premières mentions du cimetière jusqu’à 1782, dernière inhumation sur place.

La croix se distingue du calvaire en architecture religieuse. Un calvaire est un monument chrétien, comprenant une croix et parfois deux autres, soit celles du mauvais Larron et du bon Larron qui ont été crucifiés avec Jésus-Christ.

Définition Wikipédia

Un mystérieux chat momifié

En plus d’être un lieu tout à fait singulier en Europe, l’une des curiosités du lieu reste son fameux chat momifié. Son origine reste trouble et sa légende également. Sa découverte au cours du XXe siècle n’a apporté aucune réponse quant à son origine. 

Pourquoi un chat ? La tradition d’emmurer un chat noir vivant dans les fondations d’un bâtiment pour en éloigner le Diable pourrait expliquer pourquoi  un chat aurait été retrouvé sous une fondation de l’aître.

Chez nos voisins anglophones, ce que l’on nomme “dried cats” est une véritable institution liée au monde de la magie et des mauvais esprits. En plaçant un chat vivant dans les fondations d’un bâtiment, on éloignait ainsi les mauvaises choses et cela protégeait la construction. C’est pour cela qu’il n’est pas rare en Angleterre de retrouver des chats momifiés qui datent du XVIIe ou du XVIIIe siècle lors de travaux.

Mais concernant le chat exposé dans l’aître Saint-Maclou, d’autres voix pensent qu’il s’agit probablement d’une blague d’étudiants des années 1950 ou 1960. Quoi qu’il en soit, le matou desséché est un peu la mascotte des lieux.

Chat momifié trouvé lors des fouilles de Saint-Germain-en-Laye en 1862, immortalisé par Charles Marville.

La vie de l’aître s’est avérée bien rocambolesque après les destructions du XVIe siècle. Au cours de la seconde moitié du XVIIe, l’aître voit certains de ses bâtiments abriter…une école. Les enfants se retrouvent au contact d’une cour bien particulière dans laquelle on imagine peu la récréation. Mais la vocation éducative de l’aître a continué jusqu’au XXe siècle. Le monde des morts jouxtant le monde des vivants, c’est un ensemble de données tout à fait intéressantes historiquement sur les remaniements de bâtiment et leur continuité dans le paysage des rouennais. Quant aux ossements, si leur déplacement a été envisagé au cours du XVIIIe alors que se déroulait les dernières inhumations, il semble que cette opération se soit révélée trop complexe. En accord avec les nouvelles lois funéraires, les vivants se mirent à privilégier les inhumations au cimetière du Mont-Gargan.

Vous l’aurez compris, cette visite est incontournable à Rouen pour tous les passionnés d’histoire funéraire, d’architecture mais également d’art macabre.

Pour visiter :

Le site web : https://www.aitresaintmaclou.fr/

Pour visiter virtuellement : https://my.matterport.com/show/?m=kjUCC7ra6RC

L’aître propose pour le printemps des cimetières des activités !

Sources :

L’aître Saint-Maclou, une renaissance. Octopus publishing group, 2020

Aminte Thomann, Cécile Chapelain de Seréville-Niel, « Rouen – Aître Saint-Maclou » [notice archéologique], ADLFI. Archéologie de la France – Informations [En ligne], Normandie, mis en ligne le 04 juin 2021, consulté le 08 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/76013

 

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