L’ossuaire de Naters en Suisse

Par une chaude journée du mois de Juillet 2022, en prenant la route de l’Italie en train au départ de Genève en Suisse, une de nos escales allait s’avérer plus intéressante que prévu initialement. En effet, sachant qu’un arrêt de 4 heures nous attendait à Brig, jolie petite ville du Valais, c’est un peu par hasard que l’on a appris l’existence d’un ossuaire de l’autre côté de la rivière à Naters.

Direction Brig et Naters

La ville de Brig ou Brigue est tout à fait charmante, à taille humaine, entourée de hauts sommets au grand bonheur des sportifs. C’est une ville dont les premières mentions remontent au XIIIe siècle et dont le réel développement s’est déroulé au cours du XVIIe. C’est ainsi que l’on peut découvrir plusieurs anciens bâtiments témoignant de l’histoire locale. C’est si paisible que l’on dirait un village de film.

Ce jour-là, la chaleur est suffocante, et pour cause, c’est un été caniculaire dans de nombreux endroits en Europe, et nous prenons le chemin de l’ossuaire à pieds sans vraiment savoir si ce dernier est alors ouvert ou accessible. C’est souvent l’un ou l’autre quand il s’agit d’ossuaires, plusieurs fois je me suis retrouvée coincée devant une porte close car l’endroit était fermé et qu’aucune information n’avait fuité nulle part. C’est le jeu, il faut être patient. Qu’à cela ne tienne, direction l’église du village que nous visitons. Elle est très jolie et apporte quelques minutes de fraîcheur lors de cette ascension légère car le village est un peu en hauteur… mais aucune porte n’indique un ossuaire. Sur la route, on croise une fontaine gratuite à l’eau potable, un confort qu’on retrouvera jusqu’à Rome pour s’hydrater gratuitement. Un luxe. Un panneau semble indiquer l’ossuaire mais on se retrouve rapidement à tourner un peu en rond dans ce village si paisible écrasé par la chaleur dont le seul bruit est celui de la fontaine.

On se dirige vers le cimetière. La chaleur est encore plus écrasante mais quelle vue ! Face à notre perdition, je me décide à regarder plus en détail l’apparence du monument sur Google et c’est finalement juste à côté de l’église qu’il semble se trouver. Logique ! Comme je l’expliquais dans ce cours en ligne l’ossuaire se trouve en terre consacrée. Mais sous ce soleil, j’en ai perdu mes fondamentaux et pensé que peut-être il jouxtait le cimetière ! Les morts qui reposent en ces lieux, eux, ont une vue à couper le souffle. Quelle chance ils ont ! Enfin, d’avoir cette vue, on s’entend.

L’ossuaire de Naters

L’ossuaire est accessible puisqu’il n’est pas enfermé dans une bâtisse dans laquelle il faut pénétrer. En effet, il est protégé par une épaisse grille qui permet de l’observer de l’extérieur à toute heure de la journée. Pas d’interdiction de photographies affiché, je peux alors en profiter et documenter cet endroit. L’ossuaire possède un extérieur charmant si ce n’est qu’on est face à plusieurs milliers de morts en s’approchant. Mais en y regardant bien, on voit que le rangement des crânes a été étudié et qu’ils sont rangés et séparés avec des os longs. Probablement par soucis d’équilibre et d’esthétique. On imagine aisément que derrière ce mur de chefs se trouvent de nombreux autres ossements placés à l’abri des regards.

Si cet endroit peut surprendre, en réalité il existe une vingtaine d’ossuaires dans la région ! Et tant que l’on parle de chiffres, parlons de ceux de l’ossuaire de Naters. Le nombre de morts à l’intérieur est estimé à 31 000 et il a été construit en 1514, la date est d’ailleurs peinte au dessus de la porte en hauteur. Le mur de crâne fait 9m30 de long pour 3m50 de haut, ce qui en fait un des plus grands du pays.

Pourquoi avoir mis tous ces ossements dans ce bâtiment ? Comme bien souvent, c’est face à un manque de place dans le cimetière que l’ossuaire a été envisagé et érigé. Grâce à lui, on pouvait désengorger le cimetière des morts les plus anciens tout en leur assurant l’intégrité physique dont ils ont besoin en adéquation avec leur religion, ici catholique. Rien de macabre ou de malsain, on est bien là dans une démarche d’honorer les morts et de prier pour leurs âmes. Quant aux dépouilles, le but était de leur assurer une continuité dans un espace religieux ou du moins consacré à proximité directe de l’église en vue d’une résurrection comme le veut la croyance religieuse catholique.

L’architecte, Ulrich Ruffiner à l’origine de l’ossuaire de Naters avait son petit succès en Suisse entre le XVe et le XVIe siècle. En réalité, il était davantage maître d’œuvre maîtrisant la taille de la pierre et la remise à neuf de bâtiments devenus trop anciens. Le maître-maçon est devenu un architecte connu en Valais et Haut Valais au fil du temps . Le pauvre homme est mort dit-on en chutant de du clocher de l’église de Glis. Il a néanmoins laissé sa marque dans l’histoire locale malgré cette fin tragique.

L’ossuaire est toujours un lieu respecté. En arrivant, quelques neuvaines continuent à vivoter. Tout est propre et beau et surtout invite au recueillement peu importe sa confession. C’est ainsi que l’on retrouvera davantage d’ossuaires de ce type dans les cantons à majorité catholique plutôt qu’à majorité protestante. Et si de grandes grilles protègent les morts, c’est tout simplement parce qu’ils sont aussi menacés par des actes de vandalisme ou encore des pillages comme on peut le voir dans l’actualité des ossuaires en différents endroits d’Europe. Une distance nécessaire entre les morts et les vivants pour leur sécurité. En allemand, un Memento Mori est lisible.

“Ce que vous êtes nous l’étions, ce que nous sommes vous le serez.”

Sur le mur extérieur de l’église en face se trouvent quelques reliques, non pas religieuses mais d’histoire funéraire avec une pierre tombale à crâne et trois croix très jolies et ornées.

C’est tout naturellement qu’on a laissé une pièce dans le tronc pour remercier les morts de nous avoir si bien reçu et surtout pour contribuer aux travaux et autres besoins de l’église et de l’ossuaire.

C’est ainsi que nous avons repris le chemin de la gare pour partir en Italie à la découverte d’autres perles funéraires et historiques qui vous seront présentées en vidéo. On a eu très chaud mais ça valait (sans mauvais jeu de mot) vraiment le détour !

Les Suisses, très concernés par la mort ?

Avant que je ne vive plus près de la Suisse, je n’avais pas eu l’occasion de me pencher sur le patrimoine funéraire local. Ce n’est pas faute d’avoir de nombreux abonnés du pays que je salue chaleureusement ! L’occasion pour moi de lire les travaux des anthropologues et historiens locaux lorsque j’en ai l’occasion. Les Suisses s’avèrent très concernés par leurs morts ! En réalité, en plus des ossuaires du pays, on trouve également des particularités funéraires. Je vous parle d’ailleurs de celle du fromage des morts en podcast par exemple, mais on trouve des particularités dans les cimetières également, à l’image du cimetière sculpté de Jaun et ses magnifiques œuvres sur bois. D’ailleurs, alors que certains en France se targuent d’avoir inventé les réunions mortelles entre endeuillés, c’est la Suisse qui est à l’origine des premières, les Cafés mortels sous l’égide de Bernard Crettaz, sociologue suisse en 2004. Un livre existe d’ailleurs à ce propos si cela vous intéresse. Le petit pays est également très concerné par les discussions et débats sur les soins palliatifs et sur le suicide assisté légal sous conditions. Et dans les musées, j’ai pu constater le retrait explicité de dépouilles anciennes à l’image de plusieurs musées genevois. En bref, ce sont des questions très vivantes à propos des morts et j’apprécie de plus en plus d’échanger avec les habitants de ce pays à ce propos.

J’espère que cet article vous a intéressé et que vous avez pu découvrir ce lieu (ou le redécouvrir), témoin de l’histoire locale et du soin apporté aux morts par le biais d’intentions spécifiques comme ici la construction d’un ossuaire par le passé au cœur de Naters. N’hésitez pas à partager cet article, vous contribuez ainsi à faire connaître mon travail. Merci à vous ! Juliette

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