Si il y a des sujets qui dérangent ou peuvent potentiellement mettre mal à l’aise, celui des défunts conservés à domicile plusieurs mois ou encore plusieurs années en fait partie. Si dans ce podcast d’une vingtaine de minute je reviens sur des cas assez différents les uns des autres et surtout sur la confrontation avec le bagage culturel, cet article est présent pour apporter des informations complémentaires à ce sujet pas banal. Du deuil pathologique à la composante culturelle.
💀Avertissement pour les plus sensibles, cet article va contenir des images et mots relatifs aux corps conservés💀
Du deuil pathologique à la composante culturelle.
Tout d’abord, dans ce podcast je vous parle plusieurs fois du terme deuil pathologique. A savoir que cette notion est encore débattue de façon constante dans le domaine des études psychiatriques et psychologiques. Bien sûr, la notion de deuil renvoie directement à Freud (encore une fois), mais il n’y a pas que Freud dans la vie et la notion de deuil normal VS deuil compliqué ou pathologique a été étudiée, redéfinie, et ces notions le sont toujours suite aux travaux du fondateur de la psychanalyse. Bien-sûr, ce que je croise le plus souvent en abordant le sujet est le modèle de Kübler-Ross en 1969 et les phases du deuil, ce que l’on retrouve le plus souvent comme référent quand on aborde le deuil, étapes brandies comme leitmotiv du temps qui va passer et faire son travail pour chaque personne concernée : le déni, la colère, le marchandage, la phase dépressive réactionnelle, la phase d’acceptation. A savoir que ces cas ont été le fruit d’un travail de la part de Kübler-Ross en milieu hospitalier avec des patients en phase terminale et ses travaux sont d’une grande aide pour les corps de métiers confrontés à l’accompagnement de la fin de vie. D’un point de vue de suivi clinique, on retrouve majoritairement l’évocation dans le cas d’un deuil dit “normal” de ces trois phases : L’état de choc ou de détresse initiale, l’état dépressif et le rétablissement. Souvent, des durées de temps sont indiquées pour la gestion d’un deuil (10 / 12 mois), pour ma part, et sans froisser les plus psychologues et psychiatres d’entre-vous, nous savons qu’un deuil peut durer bien plus longtemps sans devenir pathologique : Chaque deuil est différent et ces classifications ne sont pas forcément valables selon le groupe ou l’environnement culturel de l’individu concerné. On retrouve donc des éléments concernant le deuil et les pathologies qui peuvent être développées dans le discours psychanalytique bien-sûr mais surtout dans :
– Dans la Classification Internationale des Maladies (CIM-10)
– Dans le DSM-5 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5e révision mais prémice dans la IV) qui va lister des éléments en lien avec la détresse clinique et/ou une réaction disproportionnée en désaccord avec les normes culturelles du patient ou sa religion ou encore son âge.
Le deuil pathologique ou compliqué peut être favorisé par des circonstances particulières qui vont devenir des facteurs de risque allant de la relation avec le défunt, en passant par l’annonce du décès ou encore les circonstances de la mort. Un ensemble d’éléments non négligeables qui demandent une attention accrue pour les concernés de la part de leur entourage et/ou du corps médical si il y a un suivi. Pour en revenir aux cas que j’ai cité dans le podcast, ces faits-divers dont on entend souvent parler, une des constante en lien est un isolement social marqué de la part des protagonistes, sujets alors à un abandon d’un de leur seul lien social / affectif et poussant potentiellement à ce déni une fois que la mort est là. Difficile bien sûr de dresser un portrait psychologique hypothétique de ces personnes via quelques lignes de journaux bien que les facteurs à risques sont nombreux et divers.
Dans les cas de ce qu’on peut classer dans les manies de deuil + déni intense et parfois délires, on est bien dans la survenue d’un trouble psychiatrique dans le travail de deuil ou de l’expansion d’un trouble non déclaré encore et s’exprimant durant cette phase de la vie.
Dans tous les cas, l’annonce d’un deuil ou bien d’un deuil à venir ne doivent jamais être pris à la légère, et les services qui sont confrontés à faire le lien entre les proches vivants et la personne en fin de vie ou décédées doivent redoubler deux fois plus d’empathie et d’humanité face à ces annonces. Ce qui impliquerait plus de psychologie du deuil dans les formations de ces personnels afin de prévenir ces deuils compliqués ou pathologiques à venir chez des personnes souvent peu suivies lorsque ces états se déclarent sans un suivi psychologique de routine en amont. On peut facilement imaginer que la dame citée dans le podcast qui a perdu son fils et très isolée socialement ait gardé ce corps en étant dans un état de déni et en réponse à une solitude difficile à porter et que la séparation avec le corps s’est avérée être trop compliquée et surtout qui la poussait à prendre conscience de la réalité et donc, la perte.
A noter, le suivi psychologique lors d’un deuil peut être vraiment d’une grande aide, même dans le cadre d’un deuil dit “normal”. Il n’y a aucune honte à se faire aider, à condition de rester alerte sur ce que vous souhaitez comme suivi : psychothérapie par la parole et non médicamenteuse ou suivi de type psychiatrique en faisant appel à un psychiatre qui peut ordonner des traitements médicamenteux. Tout dépendra également de si vous êtes déjà suivi en amont ou non dans votre vie “pré-deuil” et de l’état de détresse face au deuil en question et des éventuels troubles développés si troubles il y a. Ainsi, les rites funéraires et leurs constructions aident non seulement le cercle social dans lequel il intervient (car la mort d’un individu peut perturber une organisation sociale ou encore hiérarchique), aident les proches qui font face au deuil et permettent dans leur mise en place et dans les traditions et ce de façon tacite à permettre de faire un deuil complet.
Retournons aux cas présentés dans le podcast. Je vous parlais du cas de Le Van au Vietnam qui a exhumé les ossements de sa femme après avoir planifié de créer un tunnel permettant d’accéder directement à son cercueil. Tout d’abord pour ce cas abordé rapidement dans le podcast je vais contextualiser. Tout d’abord au Vietnam on retrouve, toujours présentes dans certaines régions et milieux comme en milieu rural ou montagnard. Ainsi, ces forces vitales, ces manifestations de défunts ou de divinités animales dans les objets ou encore dans les plantes vont venir ancrer un ensemble de pratiques, de rituels et de croyances dans le quotidien. Le Van justifie la présence des ossements de sa femme dans cette poupée géante comme le support de son esprit décédé. On est donc en plein dans une transposition animiste de l’esprit de la défunte dans l’objet qui plus est, rempli des ossements.
A savoir qu’au Vietnam, ce n’est pas surprenant dans un sens de déterrer les ossements puisque la pratique de funérailles primaires et secondaires est présente. En effet, suite à une première inhumation, plusieurs années s’écoulent avant une exhumation, un nettoyage des os accompagné de prières et de dons d’offrande. Les nettoyeurs d’ossements s’affairent à retirer les chairs qui ne sont pas entièrement parties dans une solution à base d’eau et de plantes. Puis les ossements sont placés dans un linge de soie et sont inhumés à nouveau dans l’équivalent d’un petit cercueil. Une tradition importante qui a été très menacée à coup de gratification financière auprès des familles par le régime communiste pour favoriser les crémations considérées comme plus hygiéniques que de perpétuer la croyance dans ce voyage des âmes. Ce qui en soi est fondamental dans les cas de cultes des ancêtres ou le devenir d’un individu peut se jouer positivement ou non en fonction du respect et du soin qu’il a porté à ses ancêtres. Ici Le Van transpose alors l’esprit de sa femme à l’objet et va mettre en place une série de rituels personnels et intra-familiaux (accolade du soir pour lui et son fils, nuits avec la poupée, déplacement de la poupée dans la maison selon les évènements) ce qui, bien que les croyances expliquées ci-dessus fassent partie de la culture locale entre animisme et traitement des ossements, fait que le comportement de Le Van n’est pas considéré comme normal par ses voisins et sa communauté. Comme le montrent les réactions des voisins n’ayant pas voulu lui rendre visite pendant fort longtemps et la réaction de la police demandant à Le d’arrêter tout ça et de prendre la décision de se séparer des ossements. On imagine que cette personne si cela a été fait a du subir un double traumatisme. Peu de place est laissée à Le Van pour expliquer sa démarche, peu de phrases pour essayer de comprendre si ce monsieur est en déni ou si il est parfaitement conscient de ce qu’il fait, ce qui semble être le cas puisqu’il admet n’avoir jamais été “normal” et que par conséquent, ses actes ne l’étaient pas. Alors, en suivant les idées autour des deuils compliqués ou pathologiques, difficile de dire si cette personne est en plein dedans ou si elle a juste décidé de faire un pont vers sa propre croyance et en faisant comme un autel personnel autour de sa femme décédée (les autels sont très présents pour la prière aux défunts au Vietnam). Alors, Le Van transpose sa relation de couple qu’il avait avec sa femme dans ce substitut. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il avait des comportements sexuels de type paraphiliques envers cet ersatz, mais cela on ne le saura jamais.
Maintenant nous allons voir un cas dont je n’ai pas parlé dans le podcast mais qui s’avère avoir de grosses différences dans la forme mais pas dans le fond. Vous allez pouvoir comparer et réfléchir par vous même.
Le cas Georg Carl Tänzler ou Carl von Cosel
Ce cas pourrait forcément jouxter le domaine de la nécrophilie mais j’ai décidé de l’évoquer en parallèle du cas précédent car dans la forme, c’est plutôt ressemblant mais ce cas là est clairement plus dérangeant sur plusieurs points et pourtant, le Conte possède une histoire intéressante en termes de déviances. Né à la fin du XIXe, ayant vécu la Grande Guerre, il part en Floride pour s’installer en 1926 avec sa famille, c’est-à-dire femme et enfants et fini par les laisser pour prendre son poste à Key West dans le domaine de la radiologie. En 1931, il voit une jeune patiente de 32 ans de moins que lui et, se remémorant une vision de son ancêtre lui disant que la femme de sa vie serait aux cheveux de jais, il commence à avoir une obsession pour Maria Elena Milagro de Hoyos. Cette dernière est atteinte de la Tuberculose et comme je l’expliquais récemment en conférence, le dicton “Les meilleurs partent en premier” ne désigne pas le caractère ou la bonté mais la beauté….Car au XIXe on disait cela des jeunes qui succombaient de la Phtisie meurtrière mais qui étaient les plus beaux morts existants.
La jeune femme avait déjà eu quelques morts dans sa famille à cause de la maladie et le Conte a commencé à avoir un comportement qui serait plus que décrié à l’heure actuelle. Il a tout mis en place pour essayer de soigner la jeune femme obtenant l’autorisation de tester sur elle des traitements dont certains très invasifs. En parallèle, il la couvrait de présent, était ultra pesant et toujours dans les parages ayant développé une vraie obsession pour la jeune femme qui finira par mourir de la maladie dans ses jeunes années. Absolument rien nulle part ne viendra corroborer le fait que les sentiments de la jeune femme étaient les mêmes que ceux du Conte. Mais le problème ne s’arrête pas là.
Il finance le mausolée de la jeune femme, prenant en charge les frais de fabrication de ce dernier avec l’accord des parents de la jeune fille, il fait engager un thanatopracteur pour les soins de conservation et fait faire un masque mortuaire de la jeune femme pour conserver son portrait. Le seul problème, enfin non, un problème supplémentaire, est que le Conte est le seul à posséder la clé du mausolée. Il se rend près de son cercueil une à plusieurs fois par jour pendant deux ans déjà, à la suite, il perd son travail, pourquoi on ne sait pas mais il n’est pas exclu que ce soit à cause de son obsession. Il se met en tête que l’esprit de la jeune femme va quitter son corps et le mausolée, il part donc voler le corps et le rapatrier chez lui où va essayer de réparer les effets de la décomposition en attachant des éléments du corps avec des cordes de piano ou encore pallier au manque de peau avec de la soie et de la cire mais aussi du plastique. Bref il refait le corps complètement et termine par une perruque faite avec les cheveux qui restaient (ça se décompose difficilement des cheveux) et va asperger son corps de parfum et de désinfectant pour masquer les odeurs. Il restera 7 ans avec le corps chez lui dans son lit. Sauf que dans les années 40, la sœur de la jeune femme entend parler de l’affaire et décide de se rendre sur place et de faire bouger les choses. Lui est arrêté pour violation de sépulture même si il y a une faille dans la loi par rapport au vol de cadavre à ce moment là. Idem, les accusations de nécrophilie ne sont pas avérées et dans tous les cas, pour tous les motifs il y a prescription, alors ce dernier n’est pas condamné. Et en plus il est considéré comme sain d’esprit par les psychiatres. La sœur de Elena fait récupérer le corps qu’elle fera inhumer dans un lieu secret mais avant ça, elle permet son exposition publique qui ramènera entre 6000 et 8500 personnes. Pour que le Conte ne récupère pas le corps une seconde fois, l’inhumation secrète est faite, mais qu’à cela ne tienne, le Conte fera faire une poupée géante représentant la jeune femme.
Acquitté, il fini sa vie seul et écrit son autobiographie et fini par mourir chez lui où il sera retrouvé trois semaines plus tard. D’ailleurs il avait même fabriqué une machine pour être envoyé dans la stratosphere avec le cadavre.
Pour ce cas, on voit clairement que c’est un deuil pathologique mélangé à une paraphilie et très sûrement une érotomanie (relation ici non approuvée officiellement mais platonique non réciproque pour sûr compte tenu de l’absence de consentement du cadavre dont on n’a aucune idée des sentiments de son vivant). On voit que le Conte est dans son délire, transposition d’une réalité supposée avec mise en place de subterfuges pour conserver un semblant de vie en plus d’une réelle obsession pour le corps. On ne sait alors pas si le Conte n’aurait pas été érotomane pour le coup, je pense que la lecture de son autobiographie peut apporter beaucoup d’éléments même si sûrement orientée par son délire. Ce cas montre bien l’aspect pathologique avec ce contrôle sur la personne de son vivant avec les soins et l’omniprésence mais en post-mortem également. Je vous laisse vous faire un avis par rapport à ce sujet.
Les cas culturels
Je parlais dans le podcast de cas culturels où la conservation des défunts avec les vivants est quelque chose qui n’est pas anormal et qui ne traduit pas une pathologie psychiatrique puisqu’il s’agit d’une composante du rite. Ce qui est donc lié à la culture et n’est plus ou pas considéré comme un problème. L’oeil extérieur peut juger, mais dans les faits en interne, rien n’est vu comme problématique avec ces conservations puisqu’elles s’expliquent et possèdent un bagage dans le temps quant à leur mise en place. L’idée de conserver un défunt dans l’espace commun comme avec le cas des momies citées répond à plusieurs besoins comme le besoin de préparer le corps, ce qui est long et fastidieux selon l’environnement et les techniques mais aussi pour préparer la communauté à cette mort et permettre d’y faire face. Ce qui est long également. On se retrouve pour les cas cités dans le podcast, des gestes de préparation des corps qui sont codifiés et qui répondent à un rite et non uniquement à un confort matériel de conservation pour éviter les affres d’une putréfaction.
Je parle rapidement des rites Torajas et du Ma’nene puisque c’est à cette occasion souvent que le grand public découvre cette exhumation rituelle (tous les ans ou épisodique selon les personnes et leurs traditions). Une conservation des corps qui intervient après le décès avec un corps qui reste au domicile des vivants le temps d’amasser les fonds pour les funérailles qui sont colossales et caractérisées par un grand nombre de convives et surtout des sacrifices animaliers (ce qui a un coût également). J’en parlerai plus longuement dans mon ouvrage à venir. Néanmoins, on comprend que la conservation du corps répond à des prérogatives pratiques et que l’exhumation se compose de gestes codifiés et d’un grand respect pour les défunts. Un moment tant de joie que de tristesse avec les portraits en photo du vivant mis parfois à proximité du corps momifié. Ce que j’expliquais également dans ma vidéo sur les techniques de terrain, c’est que les médias ont tendance à ne parler que de l’exhumation des corps ou la conservation de ces derniers dans le rite funéraire Toraja alors que l’une des étapes majeures est la mise à mort des bêtes et le prestige sociale qui en découle. Car de belles funérailles ont toujours permis le rayonnement du défunt et par extension de sa famille. Si vous voulez quelques éléments sur les sorties des corps je vous diriger vers le site de Klaus Bo que j’ai interviewé en 2019 également.
A la suite dans le podcast, j’évoque les chaises à défunts des Ifugao, Ifugao est le nom d’une province dans le centre des Philippines et les momies dites de Kabayan sont actuellement une “attraction touristique”. Effectivement, dans la région, il n’est pas rare que les voyageurs profitent d’une randonnée dans la montagne pour observer des momies (parfois tatouées) entreposées dans la cavité. Une visite en soi qui n’est pas problématique pour les momies tant que les lieux sont protégés et conservés. Activité qui peut en revanche être discutée si la visite vient à casser une croyance spirituelle en lien avec le lieu et ses occupants. Néanmoins, nous savons que les momies philippines et un peu partout dans le monde sont des proies faciles pour les trafiquants d’ossement et d’éléments humains. Ce qui interroge aussi sur la transmission des localisations précises des momies conservées en milieu naturel dans le monde. Mais cela est un autre problème. Si ces momies sont entreposées dans la montagne, c’est suite à leur préparation en contrebas au sein des vivants. Le climat n’étant pas propice encore une fois à une conservation naturelle (comme on le verra en territoire Papou), la mise en place du défunt sur une chaise funéraire pour mener à bien le processus de fumage qui permet une bonne conservation (tout comme avec les aliments), constitue un rite funéraire attesté et documenté bien qu’aucun élément écrit nous soit arrivé si ce n’est des observations in situ ou des récits oraux. Ainsi la préparation se base sur une évacuation des fluides et surtout des matières fécales par l’ingestion d’une solution saline à un membre mourant, ce qui permettait d’obtenir un effet laxatif. Puis suite au décès, un ensemble de gestes permettant d’assécher le corps (projection de fumée à l’intérieur du corps par la bouche, onguents, utilisations d’herbes) puis le fumage qui peut durer de quelques mois à presque un an selon le prestige du défunt. Bien d’autres étapes s’ajoutent, en particulier autour du traitement de l’épiderme pour certaines momies ou encore la récupération des fluides durant le processus. Ce qui est étonnant avec la tradition des chaises funéraires est que les vivants concernés par cette pratique redoutent ou refusent de s’assoir sur des chaises similaires ou dans des positions qui rappellent cette tradition pour éloigner et éviter tout destin funeste. Cela me rappelle de façon un peu éloignée le refus de manger de la viande bouillie chez certaines peuplades d’Amazonie car trop ressemblante à de la chair de cadavre (cf le Triangle Culinaire chez Levi-Strauss).
On comprend alors, qu’encore une fois, la conservation et le traitement du défunt parmi les vivants pour une période plus ou moins longue répond à un besoin, à un ensemble de gestes qui forment le rite en vue de relocaliser les corps une fois le processus terminé en dehors de l’espace des vivants. Cela permet aussi de créer une coupure en douceur mais tout de même nette entre le monde des vivants et celui des morts, tant d’un point de vue psychologique que dans l’espace. On remarquera que la mise en cercueil de certaines momies collerait avec les traditions coloniales, chose qui a été aussi demandées aux papous pour enterrer leurs morts en terres dédiées plutôt que de laisser leurs morts sur les montagnes.
Enfin cet épisode se termine par la mention des momies de Papouasie Nouvelle-Guinée dans la région de Aseki, qui sont aussi créées par un processus de fumage “smoked bodies” qui répond à un ensemble de gestes codifiés à faire pour le bien être du défunt…et des vivants. En 2008, un projet a vu le jour, un projet de restauration des momies papoues et en particulier celle de Moimango un chef de village. Je parlais de la papouasie dans l’article suivant, du fait que ce territoire et surtout ses terres, a été étudié tardivement, ce qui explique que les premières études sur ces momies datent des années 50 avec Simpson par exemple. Etudes qui se prolongeront de façon occasionnelles selon les décennies et surtout les anthropologues partis sur place. Alors, il est difficile de créer une chronologie de l’histoire funéraire papoue si ce n’est par l’usage de l’archéologie, chose qui n’est pas forcément évidente à mettre en place, à pratiquer et qui surtout ne peut pas toujours être prise comme argent comptant car bien que cela nous donne de grosses indications sur des gestes du passés, l’intention peut différer avec le temps et apporter des modifications au rite et ce dans un même endroit. L’archéologie reste un élément invasif sur le terrain lorsqu’il y a fouilles, ce qui peut venir se heurter aux croyances locales, une science délicate alors à appliquer. De plus, les momies restent très visibles à flanc de colline pour une observation factuelle.
La tradition orale permet alors de transmettre les gestes de la momification par fumage dans une hutte dédiée sans pour autant apporter une datation exacte sur le début de ces pratiques. Pour en revenir aux corps, si la question archéologique se pose sur le territoire, la question de la restauration en est une aussi sous ces latitudes. L’équipe ayant pris l’initiative de restaurer certaines momies locales se heurte à différents problèmes qu’ils soient de croyance mais aussi matériels : Un corps même momifié peur se fragiliser, ce dernier restant sur sa chaise à fumage lui aussi et installé dans la montagne dans la même position. L’usage de l’endoscope révèle sur plusieurs cas les fragilités et en particulier au niveau des cervicales ce qui va axer la méfiance autour de la tête puisqu’un geste mal placé pourrait avoir des conséquences dramatiques sur ces corps au très haut prestige social. Idem pour la mandibule qui était un peu movible et pour la présence de lichens sur certains éléments du corps. C’est en 2010 que l’expédition est revenue voir ce qu’avait donné la restauration deux ans plus tôt en utilisant des techniques peu orthodoxes comme le diront les chercheurs. L’idée est de pouvoir aider les peuples Anga à conserver dans le temps leurs momies et donc de permettre leur ancestralité. Une ancestralité importante qui vient dans certains cas s’opposer au souhait des plus jeunes d’ouvrir la voie au tourisme à momies. Élément qui se discute tant dans la communauté qu’à l’extérieur. Des momies qui ont été également en proie aux vols rapidement après leur découverte….
Pour terminer cet article, j’ai souhaité vous présenter plusieurs cas pour faire réfléchir à la notion de conservation des corps, de la différence entre rite funéraire organisé et admis et acte isolé dans une communauté ne pratiquant pas une conservation à domicile. On constate également qu’il existe bien sûr une multitude de rites, de raisons pour lesquelles on va conserver un corps au milieu des vivants avant de le délocaliser pour sa dernière demeure. Que ces ensembles sont fondamentaux dans la construction du socle social, que la mort des individus impacte la communauté entière et que la conservation des corps répond à des problématiques et à des croyances précises. J’en ai profité aussi pour rappeler que les momies sont toujours en danger, qu’elles sont toujours sujette aux vols, aux altérations naturelles ou humaines et qu’elles sont toutes les gardiennes d’une ancestralité à ne pas rompre. Ce qui pousse bien sûr à d’autres réflexions annexes sur la conservation des corps dans nos musées et bien sûr du tourisme à momies. Tant de questions qui sont complexes à cause des lois, de l’éthique, des conditions matérielles, des conditions des populations dans le second cas. Des sujets qui préoccupent déjà les conservateurs de musées, les chercheurs pour le premier cas et qui se confrontent à beaucoup de difficultés.
Si je tenais également à parler des actes isolés qui font les choux gras des faits divers c’est aussi pour remettre en perspective ces actes qui, lorsqu’ils ne sont pas criminels traduisent un grand mal être mais aussi très souvent une grande misère sociale et affective. Eléments que j’ai choisi d’opposer à un cas qui à mon sens relève d’un comportement beaucoup plus problématique, celui du Conte Von Cosel. Ainsi, en vous montrant une diversité de cas, j’espère avoir pu vous permettre de réfléchir à ce sujet, à remettre en perspective votre notion de la conservation d’un corps qui n’est pas une composante culturelle chez nous en dehors des veillées de quelques jours et qui revêt de nombreuses formes dans le monde.
Merci de la lecture !
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Sources :
Deuil. Clinique et pathologieBourgeois M, Verdoux H EMC (Paris-France), Psychiatrie, 37-395-A-20, 1994, 8 p
Deuil normal et deuil pathologiqueBourgeois M Paris : Doin, 2000
Le deuilHanus M, Bacqué MF Paris : PUF, 2001
Les deuils dans la vie. Deuils et séparations chez l’adulte et l’enfantHanus M Paris : Maloine, 1998
Deuil normal et pathologiqueDrLaure Angladette, Pr Silla M. Consol
Deuil et mélancolie. coll. «Petite Bibliothèque Payot» 2011
On death and dying 1969
Undying Love, Ben Harisson
The Lost Diary Of Count Von Cosel – Carl Von Cosel
Beckett, Ronald & Nelson, Andrew. (2015). Mummy Restoration Project Among the Anga of Papua New Guinea. The Anatomical Record. 298. 10.1002/ar.23139.
Piombino-Mascali, D., Abinion, O., Salvador-Amores, A., & Beckett, R. (2013). Human Mummification Practices among the Igorot of North Luzon. Bulletin de la Societe Suisse d’ Anthropologie,
https://whc.unesco.org/en/tentativelists/2070/
https://www.southeastasianarchaeology.com/2006/08/09/mummies-in-the-philippines/
Contemporary Funeral Rituals of Sa’dan Toraja 2013 Michaela Budiman
Adams, Kathleen. (2015). Families, Funerals and Facebook: Reimag(in)ing and ‘Curating’ Toraja Kin in Trans-local Times. TRaNS: Trans -Regional and -National Studies of Southeast Asia. 3. 10.1017/trn.2014.25.
Jocson, Ellisiah. (2018). Cultural Preservation and Inclusion for the Ifugao People. Journal of Southeast Asian Human Rights. 2. 421. 10.19184/jseahr.v2i2.8232.
Très intéressant !
Ça rejoint une “tradition”, qui se fait de moins en moins en France, qui est de conserver son défunt au domicile jusqu’à son inhumation.
@Fofinette89
Bonjour Juliette, comme d’habitude ce dossier est très intéressant et très bien écrit. Merci pour ton travail !
Ps : Je pense qu’il manque un morceau de phrase au paragraphe sur Le Van. “Tout d’abord au Vietnam on retrouve, toujours présentes dans certaines régions et milieux comme en milieu rural ou montagnard.”