Ceux qui me suivent ignorent peut-être que durant 5 ans, j’ai pu travailler dans un domaine de niche qui m’a permis d’aller découvrir des lieux plutôt inhospitaliers dans le monde. En travaillant autour des volcans actifs et des voyages scientifiques, j’ai eu la chance d’aller sur le terrain découvrir des lieux à l’occasion de déplacements que je n’aurai certainement pas pu me payer à mon jeune âge.
Pour celui ou celle qui s’intéresse à l’archéologie ou à l’anthropologie, l’Ethiopie est forcément une destination qui intéresse. Malgré tout, ce séjour ne s’est pas déroulé dans le Sud du Pays ou encore dans la Vallée de l’Omo mais bien au Nord. A cette époque, la thanatologie est mon passe-temps sur mon temps libre à côté de ce travail, mais ce séjour m’a permis de faire avancer mes connaissances autour du sujet par la suite. Ce site étant aussi un lieu d’expression général autour de mon travail, j’avais envie de vous emmener sur le terrain avec moi et de terminer cet article autour de la question funéraire concernant les afars.
En route vers l’inconnu.
J’ai 26 ans en 2016, quand mon ancien patron me propose d’aller dans un pays qui me fascine autant qu’il m’impressionne : l’Éthiopie. Et plus particulièrement au Nord dans la région du Danakil. Je n’ai alors jamais voyagé dans la corne d’Afrique, en réalité, je n’ai jamais dépassé les pays d’Afrique du Nord à cette époque. L’objectif de ce déplacement est de rester plusieurs jours au niveau du volcan Erta Ale pour l’observer et se rendre en direction par la suite du Dallol. Cela fait un an et demi alors que je travaille dans le milieu à ce moment là, et j’essaye au mieux de m’instruire régulièrement tant à propos de la question des volcans mais également des habitants in situ. Secrètement, j’espère en savoir plus sur les rites funéraires Afars peu décrits en littérature. En bonne élève, j’avais même prévu un petit guide de conversation en français/Amharique, ce qui nous a occasionné plus tard avec nos guides locaux quelques tranches de rire dans le 4×4 face à mes problèmes de prononciation. Une habitude que j’ai à chaque voyage et qui me permet de dialoguer plus facilement…enfin quand on se comprend !
Arrivée rapide à Addis Abeba, la capitale du pays pour partir ensuite jusqu’à Mekele, capitale ce coup-ci de la région du Tigré pour partir par la suite en 4×4 avec tout l’équipement nécessaire pour rester les jours suivants dans des conditions très sommaires sur place. Dans le groupe ? Des Docteurs et Docteures dans diverses sciences de la terre ou d’ingénierie mais également des chasseurs de volcans chevronnés. Pour beaucoup c’est le voyage d’une vie car l’Erta Ale est un lac de lave difficilement accessible et surtout il est lié aux écrits de Tazieff qui en a fait l’observation dans les années 60. De quoi faire rêver pas mal de personnes. Ce voyage me permet au niveau professionnel, en plus de découvrir le terrain, de mieux comprendre le travail logistique fait sur place pour que je puisse aiguiller au mieux les passionnés une fois rentrée France.
En sortant de l’avion je me demande quelles sont ces plantes qui ont l’air si rafraichissantes vendues en bord de route. J’apprends que c’est du Khat, un psychotrope qui fait effet en mâchant les feuilles comme de la coca. Ce produit est typiquement local et est issu du Catha edulis Forsk. Je ne le connaissais que de nom avant d’arriver, j’apprends donc ce que c’est de visu et j’évite de justesse un essai de cette plante euphorisante.
Progressivement, on perd en altitude. Mekele est à plus de 2000m tandis que l’Erta Ale se trouve quelques centaines de mètres au dessus la dépression de l’Afar qui atteint elle-même 155 mètres sous le niveau de la mer. Autrement dit, arrivé en bas du volcan après de nombreuses heures de route il faut marcher à nouveau plusieurs heures en pente pour atteindre le campement. Heureusement que les véhicules ne montent pas au camp en bordure de caldeira car ça deviendrait rapidement un enfer touristique.
Depuis notre départ et en dehors des personnes des villes, nous rencontrons peu de monde sur la route. Un arrêt pour manger est l’occasion de s’abriter de la chaleur et des enfants curieux viennent à notre rencontre. Habitués je suppose à voir des voyageurs qui viennent faire un aller-retour rapide pour voir le volcan de nuit, ils demandent à juste titre “no picture” pour anticiper toute tentative de prise de photo de ces derniers par les gens du groupe. On imagine alors que beaucoup de voyageurs pensent encore que photographier des enfants à l’étranger est un gage attestant de l’authenticité de leur voyage. Moi, j’ai eu de la chance parce que on a passé le temps de la pause sandwich à dessiner et à échanger du vocabulaire : les petites filles m’apprennent des mots en Amharique et moi je leur donne l’équivalent en français. Les enfants en Éthiopie parlent l’Amharique et l’anglais dès leur plus jeune âge. D’ailleurs, il n’est pas rare le matin sur les axes de route plus fréquentés de les croiser avec leur maman faisant un long chemin à pied jusqu’à l’école.
Les Afars sont musulmans sunnites, les enfants suivent ainsi les codes vestimentaires liés à leur religion et au climat local.
Il est temps de repartir, de se dire au revoir et j’emporte avec moi ce beau dessin, cadeau qui m’a été fait et qui me rappelle que le mot français “mouche” a eu énormément de succès auprès de ces petites filles. Au moins, on a bien rigolé. Moi je n’ai pas assez mangé, je commence à me sentir un peu vaseuse avec tous ces changements climatiques depuis mon départ et j’aurai clairement du me forcer à manger plus parce que le trek pour monter au volcan n’a pas été facile pour moi.
Il faut à peu près 3 ou 4 heures pour monter au niveau du camp qui sera notre lieu de vie pour les jours à venir. La plupart des gens comme je le disais ne restent que très peu de temps pour voir le volcan. Dans mon travail, le temps pris pour observer était essentiel puisqu’il s’agit avant tout de déplacement non pas touristiques mais bien liés à de l’observation de passionnés ou de professionnels.
Partir au moment du coucher de soleil permet de ne pas trop subir la forte chaleur pouvant aller jusqu’à 35 degrés et + durant la journée à cette saison considérée comme clémente. Dans une région d’Afars chameliers, les dromadaires sont élevés tant pour le travail du quotidien que pour acheminer des denrées au camp du haut qui est inaccessible aux véhicules. Un chamelier me tend la corde d’un des dromadaires en s’amusant de voir si j’allais la prendre ou non. Je la prends mais le dromadaire va bien trop vite à son allure normale pour moi. Ce qui fait beaucoup rire son éleveur. Ils partent tous. Les dromadaires arrivent avec une large longueur d’avance, ils connaissent le chemin et marchent sans maître, et on les retrouve en haut en train de se reposer en vue de la nuit qui s’annonce. Le paysage est quant à lui lunaire lié à l’activité volcanique ancienne de la région. Quelques insectes traversent le chemin et parfois quelques mulots. Soudain, arrivés au camp, une lueur au loin. C’est le lac de lave.
On prend nos places dans les huttes de pierre qui permettent de dormir au sol et qui offrent un abri tant contre le soleil la journée que face au vent la nuit. Parfois, le vent souffle très fort et malgré la température relativement clémente une fois le soleil parti, le sac à viande ou le sac de couchage sont bienvenus. Il ne fait pas aussi froid que dans le Sahara par exemple où les températures baissent drastiquement. Ce désert est très différent. On est excités de penser à la découverte du lac de lave du lendemain. Le camp s’agite, les éthiopiens parlent entre eux, les dromadaires blatèrent calmement, les cigarettes sont fumées en observant de loin incandescence qui rompt la nuit.
Au lever du jour, le paysage est incroyable. A ce moment là, les relations sont tendues encore avec la frontière érythréenne qui n’est pas très loin de la zone. On ne la voit pas, mais les locaux savent très bien où elle est. Entre les frontières “officielles” et les frontières ethniques, c’est un ensemble de données complexes qui régit la région. Des incidents ont déjà eu lieu dans le passé au niveau du volcan, parfois impliquant des touristes. En allant dans cette zone, il faut accepter la proximité avec quelques kalachnikov possédées par les afars ou par les militaires présents sur place. Pour accéder à cette zone, il est obligatoire d’être accompagné et de respecter les règles. C’est essentiel pour que tout se déroule au mieux.
Contrairement aux zones de campement très polluées de plastique, de restes des autres voyageurs ou encore de boites de conserves, l’approche du volcan est beaucoup moins marquée par la présence humaine.
Chaque jour, des approches du volcan sont prévues. Ici, le lac de lave est très haut, il projette de la lave régulièrement en hauteur et bouge en surface comme une mer miniature. Le masque à gaz est essentiel pour ne pas suffoquer. Régulièrement en revenant au camp je saigne du nez à cause de l’irritation. Le bruit est indescriptible, la lave est agitée et frappe les bords du lac.
La première approche de la lave me fait peur. Je n’ai jamais vu de volcan, je ne sais pas comment aborder tout cela. Moussa, notre guide afar me prendra par la main pour me rassurer et me donner la confiance nécessaire pour apprendre à marcher sur ce sol fait de laves anciennes et ces laves plus récentes qui se fissurent sous les pieds. Il faut être prudent en avançant, les tunnels de lave récents peuvent s’effondrer sous le poids d’un marcheur. Et en plus, c’est extrêmement coupant. Moussa qui est sourd-muet de naissance connaît la zone mieux que personne. Et il est très respecté dans sa communauté, il sait tout à fait se faire comprendre ! A mon âge en ayant peu voyagé, j’étais encore froussarde face à la nouveauté car je suis d’une nature prudente. Heureusement, on apprend à avoir moins peur tout en étant vigilant avec le temps. D’ailleurs, la prudence est importante aussi dans ce métier car les excès de confiance ou l’absence d’humilité mènent aux accidents. Ce n’est pas une honte d’avoir peur, mais j’ai eu la preuve qu’un soutien d’équipe bienveillant permet d’avancer et d’aller plus loin ! Pour des raisons évidente de respect de la vie privée et de l’image, j’ai caché les visages de mes amis sur les photos.
Ce que je n’avais pas vu, c’est que mon mollet prenait une couleur très bizarre depuis ma descente de l’avion. J’avais assez mal, comme si je m’étais déchiré quelque chose. Je n’ose pas en parler. Mais rapidement, je suis de plus en plus faible, je n’arrive plus à manger et j’ai extrêmement mal. On ne sait pas ce que j’ai, alors mon patron essaie de me faire manger et de me faire marcher pour échauffer mes jambes. La douleur disparaît les jours suivants à chaque fois que je marche pour me rendre au volcan. A ce moment là, je désespère, non pas des conditions qui me plaisent et parce que j’apprends plein de choses, mais parce que je me sens faible et pas à la hauteur. J’ai mal dès que je ne marche plus. On pense à une éventuelle phlébite avec un peu de peur parce qu’il n’y a aucun moyen d’être soigné à plusieurs heures de route et de piste. Je ne m’alarme pas tant que je peux encore marcher.
Mais je suis consciente que cette expérience je ne la ferai peut-être pas deux fois dans ma vie alors je fais tout pour suivre le groupe et pour continuer à aller observer. J’ai de la chance, je n’ai pas encore de soucis gastriques, ce qui me permet d’être relativement à l’aise. En revanche, ce voyage m’a appris à aller aux toilettes dehors dans un cadre pas très intime (autrement dit, il y a toujours des chances de croiser quelqu’un). Un apprentissage non négligeable pour les voyages qui suivront dans des conditions similaires ! Un tabou d’ailleurs, nombre de mes clients en 5 ans me posaient timidement des questions quant à la faisabilité d’aller aux toilettes lors des séjours sans hôtel au milieu…
Le débordement du lac de lave
Passés plusieurs jours à observer ce lac de lave en mouvement, on espérait secrètement qu’il déborde pour pouvoir observer des coulées de lave car ce n’est pas si courant. Le dernier soir au camp, on tire un trait sur cette éventuelle observation.
La nuit, je dors assez mal, et surtout je vois en ouvrant un œil que le ciel est rouge. Je panique, je sors de mon sac de couchage comme une furie, je mets mes chaussures de randonnée sans les lacer parce que je pense à ce moment là dans un demi sommeil, que tout le monde est parti sans moi et que le soleil se lève. Je sors de ma hutte et là …
CA DÉBORDE !!! Je vais vers la hutte de mon patron et je chuchote “Je suis désolée de te déranger mais le volcan déborde”. Et là il sort comme un fou et réveille les autres voyageurs du groupe. Ce chuchotement pour alerter de la coulée de lave est resté une bonne blague d’ailleurs les années qui ont suivi. On est tous fascinés par ce spectacle. Après demande d’autorisation aux militaires et aux afars, on a la possibilité de s’approcher des coulées en descendant dans la caldeira.
La lave avance vite puis ralenti au fil des obstacles qu’elle rencontre. Elle émane une chaleur vraiment spéciale, elle irradie et la sensation sur la peau malgré la distance en fait une sensation et un moment vraiment unique et particulier. Chacun y va de ses photos de la coulée ou encore devant la coulée. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit l’Erta Ale déborder ! Les militaires restent assis au niveau du camp à observer le spectacle arme entre les jambes. Je me demande pourquoi ils ne viennent pas. Moussa me fait un signe et j’apprends plus tard que les légendes sont toujours très vives autour du volcan et de ses dangers tant physiques que spirituels expliquant ce retrait et cette observation de loin. C’est une bonne raison, moi aussi j’avais peur !
Je suis avec Moussa, on se prend au jeu des photos qu’on imprime une fois rentrés au bureau en France et on lui apporte les tirages l’année d’après au voyage suivant pour qu’il puisse lui aussi avoir un souvenir. On se prend en photo chacun notre tour devant la lave.
Après quelques heures d’observation jusqu’au lever du soleil, il est temps de repartir, redescendre le chemin jusqu’au camp où sont restés les 4×4 et prendre la route en direction du Dallol. On dit au revoir aux afars de la zone, j’en profite pour leur laisser ma batterie solaire pour leurs appareils, ils en auront plus besoin que moi.
La route vers le Dallol
En quittant la piste désertique au bout que quelques heures de bonnes secousses, on retrouve la route mais également du réseau téléphonique qui permet de dire à nos proches que tout va bien suite à ces jours sans contacts. J’aurai mille choses à raconter mais je sais que chaque SMS va me coûter très cher au fond du désert. La route est par la suite goudronnée, quelques rochers jonchent cette dernière. Ils ne sont pas liés à des chutes de pierres mais servent en cas de problème automobile de “triangle” de signalisation pour les autres conducteurs. Le petit soucis est que parfois, ils ne sont pas enlevés de la route suite au dépannage.
On commence à croiser également des caravanes de dromadaires. C’est un des derniers vestiges de l’activité chamelière liée au sel. On y reviendra dans ce récit.
Ce trajet est aussi l’occasion de pouvoir se restaurer après plusieurs jours d’eau tiède – mais bienfaisante – pour se rafraîchir et goûter le café local. Coca-Cola est bien présent même dans ces zones désertiques et sa fraicheur est un plaisir sans nom !
Dans ce bar, une télévision. D’un coup, le clip de Céline Dion pour My Heart Will Go On. La tenancière du bar demande aux présents de se taire le temps de la chanson. Cette anecdote m’a fait rire, je suis moi-même une grande fan du film Titanic. Prendre la route avec Daniel, qui nous accompagne durant le séjour est l’occasion de se familiariser avec la musique à la mode en Ethiopie pour mon plus grand plaisir je l’admets durant ces heures et ces heures de trajet sous un soleil de plomb.
La suite du séjour se fera en partance d’un camp. Ce camp est situé à proximité d’une base militaire qui permet d’acheter quelques denrées ou d’aller passer une soirée avec les éthiopiens qui sont en service ou qui vivent non loin. En effet, des habitations se situent autour de l’interminable route.
C’est le grand luxe que de pouvoir avoir accès à une douche de fortune où l’eau est comptée pour tous après ces quelques jours à se laver aux lingettes. C’est un peu plus dur pour certains de mes camarades de voyage. En effet, l’absence totale d’intimité peut affecter même le caractère le plus habitué et ce à des milliers de kilomètres de ses habitudes. Là encore, l’effet du groupe et le soutien permet de rassurer et de penser à autre chose. C’est l’occasion de discuter avec les personnes qui vivent ici, à plusieurs assis sur le lit on essaye d’échanger comme on le peut en anglais.
On s’habitue à faire comme les femmes du village, on s’organise en groupe de filles pour aller aux toilettes dans le désert, et on papote en marchant le long de la route. A ce stade, il n’y a plus de tabou entre nous concernant cet aspect logistique du corps humain et chacune part de son côté une fois la zone délimitée. Je prends en flagrant délit un lézard des sables venant d’abreuver de mon urine une fois l’affaire terminée. D’ailleurs, des lézards ou des geckos, je ne sais pas trop, peuplaient en grand nombre le bar extérieur de la base militaire pour tenter d’attraper près des lampes quelques insectes volants.
Le lendemain, c’est la journée prévue au Dallol pour découvrir les concrétions de sel et de soufre. Ici c’est la désolation, pas âme qui vive à l’année, une chaleur étouffante et les émanations du volcan qui prennent le nez et la gorge et qui nécessitent le port du masque à gaz. Pourtant, le site est mondialement connu tant pour son inhospitalité que pour ses vues colorées à couper le souffle. Au loin, les vestiges d’une ancienne usine d’extraction implantée lors de la présence des italiens dans le pays. Elle tombe en ruine depuis.
La zone bouge de façon constante, le paysage n’est jamais le même d’une année à une autre. Lorsque je vous parlais de la réticence de certains éthiopiens de s’approcher du lac de lave, il faut savoir que le Dallol est entourée d’un ensemble de croyances pour les Afars. Par exemple, l’idée que des Djinn soient présents est avancée pour justifier des disparitions ou accidents difficilement explicables dans cette zone. Plusieurs légendes circulent concernant ces évènements surnaturels.
Tout est acide, tout est bouillonnant, le seul bruit est celui de l’activité de la terre. C’est un paradis dans l’enfer. Tout est couleur dans le désert.
Plus loin des eaux noires, bouillonnantes. Ici, pas de baignade mais encore une fois un liquide acide qui pièce les rares oiseaux qui espèrent s’y rafraichir.
Le lendemain, direction le Lac Karoum. Il s’agit d’une zone géologique hors du commun non loin des zones d’extraction manuelle des plaques de sel. Je vous parlais des dromadaires qui sont toujours utilisés dans le cadre de caravane et c’est en grande partie pour transporter ces plaques de sel. Ces dernières sont récoltées à la main par des tigréens ou des Afars et ce de la même façon depuis 3000 ans. Chaque travailleur a sa tâche, et l’ensemble du travail est épuisant et surtout il est très rude pour le corps au contact du sel mais également pour les yeux. Une fois les plaques extraites, elles sont chargées sur les dromadaires pour parcourir une très longue route de plusieurs jours pour être vendues.
Ainsi s’achève ce voyage à la multitude de paysages et de rencontres. A mon retour, je mets plusieurs semaines pour bien saisir l’envergure de tout ce que j”ai pu découvrir à l’occasion de ce départ.
Et le funéraire alors ?
Un voyage qui aura un impact direct sur des travaux quelques années plus tard tant par rapport à certains aspects esthétiques dentaires des afars mais également pour mieux cerner le terrain dans le cadre de la gestion des défunts dans ces conditions.
Les Afars vivent dans un milieu extrêmement difficile avec en premier lieu un nombre important de morts infantiles. Il s’agit d’un peuple avant tout d’éleveurs nomades ou semi-nomades avec une réputation de longue date qui s’oriente autour de leur aptitudes guerrières. Si vous avez lu Corto Maltese, vous vous souviendrez de Cush, afar et musulman que l’on peut croiser dans les Ethiopiques. Ainsi, les afars ont été craints mais également exclus de la vie politique Ethiopienne. Les ouvrages anciens parlent d’hommes “belliqueux” ou encore “agressifs” alors qu’en réalité, il y a certes une aptitude et une habitude des conflits intertribaux, mais on ne peut limiter les afars uniquement à cela. Il s’agit d’un peuple attaché à ses traditions et à son mode de vie, partie intégrante de leur identité socio-culturelle.
Sur leur chemin ou près de leur lieu de vie du moment, les afars vont ainsi enterrer leurs morts en respectant les rites, ici ceux liés à la religion musulmane sunnite. Mais d’autres gestes sont à noter comme l’endroit même de la mort – ou du souffle du mort – qui peut être signifié avec une pierre ou une gravure en plus de la zone d’inhumation en pleine terre. Le dernier souffle ou râle des morts est une notion très importante en lien avec la fin de vie chez de nombreux peuples en Afrique mais également visible en Asie…et dans de nombreux autres endroits du globe.
L’emplacement des dépouilles sera, une fois le camp démonté, reconnaissable grâce à un ensemble de pierres installées en cercle. La forme des tombes va également varier selon le statut du mort et les conditions de sa mort. Ainsi, certaines tombes très particulières seront en élévation. On observe alors des adaptations entre les croyances des clans et la religion dominante pratiquée. L’un n’empêche pas l’autre, mais ces adaptations sont visibles en lien avec l’organisation sociale et les difficultés matérielles du terrain. Ces tombes seront ainsi éparpillées dans l’immensité du désert marquant pour les hommes et femmes de passage la dépouille des morts de leur groupe ou d’un autre au fil de la marche. Dans la littérature ethnographique du XIXe et du début XXe, on peut retrouver l’appellation de “Danakils” (L’homme, races et coutumes par Verneau chez Larousse 1931) ou bien d’Afars. Pour autant, dans les ouvrages de ces périodes, les confusions entre groupes sociaux nomades ne sont pas rares ce qui a des répercussions également dans des domaines annexes comme la géopolitique en lien avec cette région.
Pour comprendre le fonctionnement des afars dans tous les aspects de leur vie quotidienne et de leur croyance, il faut les interroger car bien souvent, ils sont les gardiens de savoirs oraux qui se transmettent de génération en génération. La modernisation même au fond du désert par exemple avec l’usage de véhicules venant à terme remplacer les chameliers est une véritable problématique supplémentaire pour les afars qui, de par leurs racines et fonctionnements sociaux ont du mal à trouver leur place dans le pays – à condition qu’ils puissent en avoir une. La séparation des zones pastorales à la fin du XIXe et au XXe par des frontières définies à l’occasion d’accord entre empires et ou pays a été un véritable problème in situ mais également dans de nombreux pays du continent.
Juliette
Sources complémentaires :
Yasin, Y. M. (2008). Political history of the Afar in Ethiopia and Eritrea. Afrika Spectrum, 43(1), 39-65.
Lewis, I.M. (1955). Peoples of the Horn of Africa (Somali, Afar and Saho): North Eastern Africa Part I (1st ed.). Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315308197
PARKER, E. (1971). Afar Stories, Riddles and Proverbs. Journal of Ethiopian Studies, 9(2), 219–287. http://www.jstor.org/stable/41967477
Munzinger, W. (1869). Narrative of a Journey Through the Afar Country. The Journal of the Royal Geographical Society of London, 39, 188–232. https://doi.org/10.2307/1798551
Ahmed, M., Demissie, M., Worku, A. et al. Socio-cultural factors favoring home delivery in Afar pastoral community, northeast Ethiopia: A Qualitative Study. Reprod Health16, 171 (2019). https://doi.org/10.1186/s12978-019-0833-3
https://minorityrights.org/minorities/afar-2/