Mots clé : désastre, logistique funéraire en catastrophe naturelle, pillage cimetière, patrimoine funéraire, conservation du patrimoine funéraire.
Cet article est consacré à une recherche personnelle débutée en 2018 à propos du cimetière d’Armero. N’ayant jamais croisé ce sujet ailleurs, il me semble intéressant de le développer ici dans une version abrégée puisqu’il touche à deux sujets : la volcanologie de par mon ancien métier et l’anthropologie biologique par mes études et activités actuelles.
Dans cet article, je souhaite exposer une double problématique rencontrée en Colombie et plus précisément à Armero. Pour ceux qui n’était pas nés en 1985 ou en âge de comprendre, cette ville de la Colombie vivait un des ses épisodes les plus meurtriers à cause d’une éruption volcanique : celui du Nevado Del Ruiz. Cette problématique est la suivante : Le vol d’ossements dans cette zone si particulière suite à la catastrophe naturelle.
Contexte : Une éruption meurtrière en Colombie rasant Armero
Le 13 Novembre 1985 dans la soirée, une des éruptions les plus meurtrières de ces derniers siècles débutait. A 40 kilomètres du volcan et à une époque où la négligence est totale de la part des dirigeants autour de la question volcanologique en Colombie, l’alerte pour la ville d’Armero ne semblait pas urgente malgré les appels des scientifiques et groupes volcanologiques. Ce soir là débute un épisode dramatique qui va tuer entre 21 000 et 25 000 personnes. Les habitants n’ont plus d’électricité, de l’eau et de la boue commencent à recouvrir le sol et l’espace de façon inquiétante : l’éruption en cours fait fondre les neiges et la glace à 5321 mètres d’altitude en haut du volcan ce qui provoque l’apparition d’un danger bien plus grand : les lahars.
Un lahar c’est tout simplement des milliers de litres d’eau, de glace de roches volcaniques et non volcaniques qui dévalent les pentes du volcan emportant tout sur son passage et atteignant ici une vitesse de 60 kilomètres par heure. Ils sont au nombre de quatre au moment de cette éruption.
Suite au paroxysme de ce volcan, les jours suivants sont pesants : Les morts sont nombreux, les blessés aussi dont certains resteront coincés jusqu’à mourir sur place et en plus, une coulée de boue dans la rivière Chinchina rajoute de nombreux morts et blessés dans la zone. Les jours d’après sont consacrés au sauvetage et de nombreuses personnes perdent des nouvelles de leurs proches. Cette tragédie va bousculer plusieurs choses :
- La nécessité de travailler sur le développement des alertes face à des éruptions en zones à risques
- La gestion des corps dans le cadre de catastrophes dans le monde sud américain
- L’après et la conservation et protection des dépouilles.
Dans le cadre de mon ancien métier, j’ai par conséquent beaucoup lu sur la catastrophe, essayé de comprendre le contexte tant politique, géopolitique mais aussi sanitaire et social pour avoir un aperçu relativement large et complet de cette situation. C’est au fil de mes recherches que je constate quelques maigres alertes passées relativement inaperçue 30 ans plus tard à propos de pillages dans le cimetière d’Armero. Car la ville désormais se visite mais sous sa forme détruite avec la possibilité de se recueillir à divers endroits car la zone est un cimetière géant ayant enterrés sous les cendres et les strates des milliers de corps. Un cimetière non officiel créé par la catastrophe naturelle.
Gestion des morts, miracles et législations
L’extraction de défunts les quelques jours après la catastrophe va beaucoup interroger dans les sphères de la recherche et de la sécurité civile car les catastrophes naturelles sont nombreuses en Amérique du Sud et les comportements à adopter pour la gestion des morts n’étaient pas nécessairement bien annoncées ou appliquées dans les années 80 / 90 puis 2000. Une question qui va drainer des discussions et la mise en place d’un manuel bien spécifique qui est Management of dead bodies in disasters situations déjà publié au nombre de 5 exemplaires puisque ce dernier tend à changer avec le temps et les progrès en sciences forensiques. Un manuel édité par la Pan American Health Organization conjointement avec l’OMS/WHO.
Ces questions sont importantes puisque la gestion des morts en masse lors de catastrophes naturelles et surtout leur avenir va se heurter à de nombreuses problématiques :
- La gestion des médias
- L’organisation d’équipes de professionnels en plus des secours pour les vivants
- Les diverses opérations de coordination selon le terrain avec l’idée de possibles répliques
- Le déplacement des corps ou des éléments à disposition en cas de corps non complet
- L’identification visuelle ou par la suite ADN
- Le retour des corps dans le cadre d’un rite funéraire en adéquation avec la culture locale tout en respectant les conditions sanitaires.
Un travail autour des corps soumis au temps puisque la décomposition en masse est une question sanitaire importante pour les survivants à proximité mais également pour les équipes qui vont sur place. Des équipes de ce type composées tant de légistes que d’anthropologues forensiques se retrouvent également aux Etats-Unis sous l’appellation DMORT (Disaster Mortuary Operational Response Team) et ce sont des équipes de ce type qui sont intervenues après les attentats du World Trade Center. On constate donc la nécessité de faire travailler ce type de binômes ensemble lors de catastrophe partout dans le monde.
Un des points soulevé par l’ouvrage cité en amont dans cet article est bien la continuité de la croyance pour les vivants. En effet, ici les morts sont en partie recouverts par les sédiments et l’extraction n’était pas faisable. Un des points récurrents dans la gestion des morts lors des dernières décennies au XXe siècle a été de créer au plus vite des fosses pour des raisons sanitaires. Une réponse à une situation décriée par les spécialistes qui y voient des problèmes pour la suite : celui de la perte de possibilité de pratiquer le rite funéraire adéquat et surtout cela créé une grande frustration pour ceux qui savent que la possibilité de faire une identification ainsi qu’un prélèvement ADN existe.
Une conséquence visible également dans le cadre de Genocide Studies comme croisé pour le cas cambodgien et se heurtant à la possibilité là bas d’extraire les corps : la possibilité est là mais cette dernière vient gravement nuire au rite funéraire et ce même si ce dernier a été fait en contexte génocidaire et sans rite particulier lors de la mise en fosse. Pour autant, la croyance dans l’état de l’âme est présente pour les populations locales. Tant de questions qui sont donc très importantes pour les vivants qui doivent déjà faire face à des éléments traumatiques durant leur histoire. Des cas de figure où la recherche de corps de façon non invasive se pose.
Dans le cas du Nevado Del Ruiz, la question de la croyance s’inscrit directement dans l’entretien de la mémoire des disparus et de la catastrophe. La possibilité de se recueillir à certains endroits rencontre un franc succès et pour cause : Le Pape Jean Paul II s’est rendu sur place et a survolé les lieux de la catastrophe en Juillet 1986. En parallèle, un lieu de mémoire pour la petite Omayra Sanchez est construit. Cette enfant agonisant sous les yeux des caméras du monde entier lors de la catastrophe est devenue un symbole de la tragédie. Si bien que sur place, son culte va grandissant. On attribue alors de nombreux miracles à la petite fille considérée comme une Sainte par de nombreux colombiens qui viennent en pèlerinage sur le site de la catastrophe. Un destin qui aurait pu être moins funeste pour elle et pour les 25 000 autres personnes si une évacuation avait été organisée. Le site d’Armero est devenu un lieu de recueillement dans sa globalité puisqu’il ne s’agit plus que de ruines dans de nombreux endroits. Une terre considérée de façon étonnante et paradoxale comme lieu de catastrophe pour tout le monde mais également terre de miracles. Ainsi, l’autre problème issu de ma réflexion et pointé au fil de mes recherches est bien celui des vols dans le cimetière d’Armero. La naissance d’un culte nouveau sur le lieu de la catastrophe a fait un effet ricochet plutôt inattendu sur la zone.
Vol de crânes dans le cimetière officiel
Le cimetière d’Armero est une des zones les moins touchées par la catastrophe. Néanmoins, dans les années 90, la mention de tombes mais également de niches funéraires presque intactes est lisible. Le lieu n’est pas oublié par la population mais son accès est rendu difficile par le terrain et la végétation sur place qui en font un début de jungle. Comme souvent dans les cimetières, celui d’Armero est d’abord pillé dans ses niches et strates les plus récentes pour retrouver des bijoux, des dents en or et bien sûr tout ce qui se vend sur le marché. La Colombie reste un pays très pauvre et ce moyen de financement n’est pas exceptionnel. Néanmoins, il faut attendre les années 2000 / 2010 pour avoir des mentions plus précises des habitants survivants d’Armero qui continuaient à essayer d’aller voir les morts au cimetière de la ville malgré tout et qui ont constaté de nombreuses dégradations. Selon plusieurs médias locaux, les premiers visés en termes de responsables sont les étudiants en médecine de Ibagué et Manizales. Ces derniers pilleraient afin de se procurer des éléments dans le cadre de leurs études. En parallèle, les pilleurs de tombes sont apparus pillant pour les raisons suscitées. Enfin un autre cas visible contre quelques pesos pour une visite, c’est l’état du cimetière à l’heure actuelle. Beaucoup d’ossements calcinés, des éléments volés ou autres font planer une menace qui effraie bien plus les habitants de la région que le reste : la mise en place de rites utilisant des ossements comme base et considérés comme sataniques dans un pays à la majorité catholique et respectant le culte catholique également.
L’existence d’une croyance autour du fait que cette terre marquée par la souffrance mais faiseuse de miracles dans le cas des zones de mémoire se transpose par le vol et les manipulations post mortem répondant à un culte parallèle. Ce qui peut sembler pour beaucoup anecdotique voire même risible est pris très au sérieux par les colombiens Une question d’anthropologie sociale en lien avec la sacralisation de la violence pour le cas d’Armero traitée par Andrés Felipe Ospina Enciso avec la mise en lumière de cultes en lien avec la tragédie et bien sûr la Mort. Un élément qui fera alors penser au développement éventuel de rites annexes autour de la mort comme j’ai pu en discuter avec deux spécialistes du sujet dans cette interview. Ici, le culte semble être fait sur place mais également en d’autres endroits puisque les corps et ceux des enfants ont été déplacés ou ont tout simplement disparus. C’est la double peine pour les survivants d’Armero puisqu’ils ont perdu pendant la catastrophe une famille entière pour certains qui n’aura jamais de sépulture, ils font face au pillage des morts de la zone dans le cimetière où ils auraient souhaité continuer le culte pour ceux décédés avant 1985, et enfin la connaissance de ces rites vient profondément perturber la croyance de beaucoup, celle du culte catholique. Il est alors intéressant de pointer que l’alerte des habitants de la zone vient principalement de ceux œuvrant pour le Centro de Interpretación de la Memoria y la Tragedia de Armero (Centre d’interprétation de la Mémoire et de la Tragédie d’Armero) face à un déni total de la part des autorités qui n’ont ni permis de surveillance ni fait installer de protections autour du cimetière.
Conclusion : Un mémoriel officiel et un mémoriel sacrifié
Pour conclure cet article qui n’est un résumé de ma recherche mais qui me semblait important de présenter tant le sujet est précis, il est aisé de constater deux élément. L’état et la municipalité ont permis l’accessibilité aux colombiens mais surtout aux touriste aux lieux de la catastrophe. Un lieu qui permet commerce, recueillement officiel, vente de plaques ou encore d’ex-voto et passage obligé de nombreux touristes dans la région. En parallèle, cette même municipalité est tout à fait consciente des problèmes qui se déroulent dans le cimetière officiel pré-catastrophe et de par un déni de situation puni doublement les habitants survivants de pouvoir entretenir leurs morts et leur souvenir en plus de ceux qui n’ont pas de sépultures sous les strates de la catastrophe. Le cas de Armero est un micro cas qui révèle de très nombreux problèmes en lien avec le système économique mais aussi la dualité autour du tourisme de mémoire et de la protection des morts face à des menaces nouvelles et explicites. Car si le pillage est un élément habituel et récurrent pour la valeur que l’on peut trouver dans les tombes, le cas précis d’Armero avec la preuve explicite de rites allant à l’encontre de ceux pratiqués officiellement peut avoir une portée traumatisante pour les descendants et les survivants qui assistent au viol de la sépulture mais aussi au saccage des restes de leurs proches et ancêtres.
Cette question rejoint sur certains points les questions posées autour du traitement des corps dans le cadre des genocide studies. En vue pour la continuité de cette recherche, la découverte de cet ouvrage : Retour des corps, parcours des âmes. Exhumations et deuils collectifs dans le monde hispanophone
Merci de votre lecture. Si des personnes ont des questions supplémentaires sur mes recherches et en particulier celle-ci, je reste disponible par email. Cette recherche est toujours en cours.
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Sources :
Management of dead bodies in Disaster Situation n°5 PAHO WHO 2004
Wright, Thomas L. and Pierson, Thomas C. 1992. Hazard Zone Maps and Volcanic Risk. In Living With Volcanoes (USGS). Edited by C. Donlin. United States Government Printing Office, Washington, DC. pp. 21.
Bermúdez, Manuel. Armero, la tragedia que se pudo evitar. 20 Novmber 2014. website. 6 April 2018.
PIERSON, THOMAS C. “Perturbation and melting of snow and ice by the 13 November 1985 eruption of Nevado del Ruiz, Colombia, and consequent mobilization, flow and deposition of lahars.” Journal of Volcanology and Geothermal Research (1989): 17-66. PDF.
https://www.las2orillas.co
Martí, Joan & Ernst, Gerald (2005). Volcanoes and the Environment. Cambridge University Press. ISBN978-0-521-59254-3.
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