Interview – Klaus Bo, photographe du Dead and Alive project.

Interview Klaus Bo

Son travail, je l’ai connu il y a quelques années sur Instagram et son approche de la mort à travers la photographie me touche. J’ai souhaité en savoir plus sur cet artiste, Klaus Bo qui dédie sa vie au Dead and Alive project afin de démocratiser la vision de chacun sur la mort et ce partout dans le monde.

Avertissement : Certaines images sont susceptibles de déranger les plus sensibles.

Bonjour Klaus, merci d’avoir accepté cette interview sur le blog. Comme vous le savez, ce blog permet de parler de la mort via des articles et de nombreux sujets. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs ?

Bonjour Juliette,
Je suis un photographe danois basé à Copenhague. J’ai commencé la photographie comme hobby pendant que j’étudiais la musicologie à la Royal Academy of Music. Après mon diplôme, j’ai débuté mon activité professionnelle et de façon autodidacte pour être photographe freelance. Dés le début de ma carrière, j’ai souhaité m’orienter sur l’aspect social mais aussi les histoires culturelles et les documenter de plusieurs manières avec par exemple comme thématique les réfugiés irakiens qui vivaient en Syrie, les bidonvilles habités en Égypte, le Holi Festival en Inde, les conséquences d’un séisme en Haiti, les réfugiés en Tunisie ayant fuit la Libye et de nombreux autres sujets. J’ai travaillé pour des organisations comme CARE au Niger et au Népal, Médecin sans frontières à Haïti et plus tard avec le Concile danois aux réfugiés : Irak, Kenya, Éthiopie et Djibouti.

En 2010/2011 j’ai commencé  le travail de ma vie, le Dead and Alive Project documentant les rites funéraires et montrant comment la mort est abordée dans le monde. Jusqu’à présent, j’ai photographié des rites au Groenland, Haïti, Guatemala, Philippines, Népal, Inde, Ghana, Madagascar, Danemark, Indonésie et Roumanie.

Groenland Klaus Bo Le Bizarreum
Groenland
Indonesien_02
Indonésie

J’ai découvert votre travail sur Instagram il y a plusieurs années et j’étais impressionnée par tout ce que vous postiez et plus particulièrement par les portraits faits avec respect. Est-ce votre but de partager avec les gens quelque chose de spécial à propos des situations ou des émotions des individus?

Photographier des situations est une chose, faire des reportages photographiques une autre, mais j’ai toujours trouvé les portraits très intéressants. J’ai fait quelques projets sur les portraits il y a quelques années. Capturer l’essence d’une personne en une image est une question d’interaction, d’empathie et comment vous vous connectez aux gens. Avec mes portraits, j’essaye de montrer des émotions et j’essaye de montrer plusieurs facettes d’une même personne en une image. Lorsque l’on regarde un portrait intime et puissant, on peut mettre un peu de ces émotions dans la situation représentée et se sentir proche de par nos propres sentiments. Un bon et profond portrait est un portrait auquel on peut s’identifier et le ressentir au plus profond de soi-même.

Døderitualer Nepal Klaus Bo
Timal, Nepal 2014

Dans votre travail, les séries de photos à propos de la mort sont vraiment intéressantes mais aussi intimes. J’imagine que vous avez besoin de demander aux gens si ils sont d’accord avec le fait que des photos soient prises pendant les funérailles? Depuis quand avez vous commencé à travailler cette thématique et est-ce que ça a été simple de vous faire accepter lors de ces évènements?

J’ai commencé à travailler le projet en 2010/2011 mais la toute première image qui a débuté le projet a été faite en 2002 aux pompes funèbres d’une mosquée de Copenhague. Cela m’a demandé beaucoup d’effort pour être proche comme je l’ai été et pour avoir la permission de documenter ces funérailles, dans tous les cas, documenter les rites funéraires dans le monde prend du temps. D’un autre côté, dans de nombreux endroits où j’ai été, les gens ne voient pas la mort comme un grand tabou a contrario de la Scandinavie et dans de nombreux pays européens. Cela est donc plus facile. En général, mes voyages durent deux ou trois mois. Dans certains pays, j’ai pu assister à cinq ou sept funérailles ce qui m’a permis de documenter la diversité des rites pratiqués et également d’avoir de belles images. Évidemment, je dois respecter des règles durant les cérémonies et cela demande beaucoup de patience et de compassion (et j’apprécie réellement pouvoir partager ces moments avec les familles qui m’autorisent à être présent).

Ghana_Ashante_01
Ghana
Madagaskar_02  Klaus bo le bizarreum
Madagascar

A mes yeux, votre travail est une sorte d’anthropologie de la mort d’un point de vue moderne. C’est très intéressant de voir comment les gens organisent les funérailles autour du monde. Ce n’est pas trop compliqué de montrer votre travail sur internet ou durant des expositions? Le sujet est comme vous l’avez dit très tabou dans beaucoup de pays.

Actuellement, j’ai déjà fait quatre exposition au Danemark où la mort est un très gros tabou. J’ai aussi fait des conférences et eu beaucoup d’articles dans des magazines, des journaux mais aussi des interviews à la télévision et à la radio. A la base, quand les gens entendent parler du sujet, ils ne comprennent pas l’idée et ils ne peuvent pas imaginer que cela sera visuellement intéressant. “Les rites funéraires!!” Cela montre à quel point le tabou est grand par ici. Par la suite, quand je commence à montrer les images, ils sont soufflés et totalement surpris de la diversité des rites dans le monde.
Comme déjà dit, ce n’est pas facile de travailler sur un sujet tabou. Parfois cela peut être très difficile d’intéresser les gens et là je pense au fait que je passe 25-30 heures par semaine à travailler sur le Dead and Alive project. De plus, le projet dans son intégralité est financé par moi-même. J’ai vendu ma maison secondaire et ma voiture, j’ai quitté mon bureau et récemment j’ai vendu tout les équipements dont je pouvais me passer. Maintenant, mon plus gros problème est de pouvoir continuer. Par ailleurs pour reparler des tabous, j’ai été banni de Instagram et de Facebook  à cause de ce sujet.

Nepal Klaus Bo
Timal, Nepal 2014
Indien_01
Inde

Je comprends bien le problème des censures j’ai également la même chose sur les réseaux. Vous travaillez à présent uniquement sur la mort ? Vous pensez que le fait de commencer à travailler sur ce sujet vous a donné une passion de ce dernier et un désir d’explorer le monde et d’immortaliser de nouvelles situations?

Dans ma carrière de photographe, j’ai toujours documenté l’aspect social et culturel des gens autour du monde. Beaucoup de photographes le font et c’est très important mais par la suite j’ai voulu quelque chose d’autre. Je souhaitais faire quelque chose où chaque personne du globe pourrait s’y référer peu importe la religion, la culture ou l’ethnie d’où ils viennent. Quand j’étais enfant, j’avais très peur de dormir. Je trouvais que dormir était très proche de mourir et je pleurais de nombreux soirs avant d’aller me coucher. Passant au delà de cette peur et grâce à une invitation à des funérailles musulmanes à Copenhague, j’ai réalisé que la mort et la façon dont elle est traitée à travers le monde pouvait être intéressante visuellement (Œil de photographe 😉 et le fait de documenter comment sont traités les êtres chers disparus ou encore le culte des ancêtres reflète les vies des vivants qui restent et la culture. Mon projet actuel est donc à propos de la vie à travers ce point commun de la mort dans les cultures et peu importent les frontières et les religions. Ce projet me prend tout mon temps. Quand je suis chez moi au Danemark, je fais la publicité de mon projet, des conférences et je travaille en freelance pour des magazines ou des clients afin d’économiser pour mon prochain voyage.

Døderitualer Indien
Varanasi, Indien 2012. Manikarnika Ghat.
Haiti_02
Haiti

Quel est le moment le plus fort que vous avez vécu dans votre carrière de photographe?

Une fois, je faisais un reportage sur la vie des réfugiés irakiens vivant en Syrie. Le Danemark a participé à la guerre en Irak et je voulais montrer les conséquences de cette participation en montrant le flot des réfugiés très nombreux arrivant en Syrie tous les jours. Après plusieurs jours à Damas, j’ai rencontré un jeune homme, Ibrahim qui voulait que je le photographie et qui voulait raconter son histoire. Il avait 21 ans et avait été très sévèrement torturé par plusieurs groupes d’insurgés en Irak. Il a entreprit de partir d’Irak mais d’une façon ou d’une autre je pense qu’il serait mort à cause des tortures. Il a été enflammé, été percé sur le torse sans compter le reste de choses impossible à imaginer durant sa torture. Il a posé pour moi et il pleurait quand je prenais les photos de son corps détruit.

Pensez-vous que c’est important de montrer la mort et ses rituels à l’heure actuelle? 

Oui, c’est sur ! Pour plusieurs raisons, il me semble que la société moderne considère de plus en plus la mort comme un tabou. On ne veut pas réaliser que nous allons mourir un jour. Peut être parce que les gens tendent à abandonner spiritualités ou encore croyances pour se diriger vers un état d’esprit plus rationnel à propos du monde, de la vie, de la mort ou encore de la vie après la mort. Beaucoup de gens ne croient pas spécialement en quelque chose après la mort et estiment que la vie est définie. Dans beaucoup de cultures où à l’inverse il y a des croyances de ce type, on constate que pour eux la vie après est très similaire à la vie actuelle mais que cela se déroule juste ailleurs. Je pense que c’est vraiment important d’en parler avant qu’il soit trop tard et que la mort arrive comme une grande surprise.

Døderitualer i Nepall Klaus Bo
Népal
Ghana Klaus Bo
Ghana

Sans révéler vos projets secrets, avez vous de nouveaux projets en lien avec la mort d’ici les mois et années à venir ?

Le Dead and Alive Project est dorénavant le travail de ma vie et je vais continuer à travailler ce projet jusqu’à la fin de mes jours je pense. Je prévois deux ou quatre voyages cette année pour terminer la première partie du projet – tout dépend du financement. Récemment j’ai signé un contrat pour un ouvrage, je vais devoir choisir mes prochains voyages de façon réfléchie pour être sûr qu’il y aura une bonne diversité de rituels dans le livre. J’ai également débuté la vidéo et très prochainement je débute une campagne de financement participatif pour avoir un budget plus élevé.

Merci Klaus d’avoir partagé avec nous toutes ces informations passionnantes. Le Bizarreum se tient prêt à découvrir ce futur ouvrage et à participer à la future campagne de financement pour aider ce beau projet.

www.deadandaliveproject.com

Instagram: @deadandaliveproject
Instagram: @klaus_bo

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british1 English translation of the interview
Klaus Bo

2 commentaires

  1. Je découvre ton blog avec cet article, via twitter, et je tenais à te remercier et à t’encourager à continuer le travail fantastique que tu fais. Cet entretien est vraiment passionnant et après un passage sur le site de Klaus Bo je suis absolument “éblouie” (je ne sais pas si c’est le mot adéquat) par son travail. Il se dégage une telle sérénité de ses photos, c’est vraiment dingue. Je ne comprends pas les gens qui signalent ce genre de contenus tout en diffusant les images de tueries.
    En tout cas, pour ce que ça vaut, je suivrais maintenant ton activité avec beaucoup d’intérêt ! Bonne continuation et bon courage 🙂

Les commentaires sont fermés.

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