Cementerio de Colon : Piles d’os dans la nécropole cubaine

* A écouter avec une petite playlist cubaine et vous serez en pleine ambiance ✈️ *

Des piles d’ossements, des crânes à foison et des clichés de la fin du XIXe siècle. Nous sommes à Cuba, à la Havane au cimetière Christophe Colomb nommé également Necropolis de Cristobal Colon. Etendu sur 57 hectares, ce cimetière est le plus grand de Cuba et il est classé comme monument national car il contient des éléments architecturaux passionnants et permet le repos à d’illustres personnages locaux. Les archives photographiques montrant des militaires américains et parfois éditées sous forme de cartes postales s’expliquent facilement malgré l’aspect étonnant de ces envois postaux.

Un cimetière et un fonctionnement.

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Comme dans de nombreux cimetières, le cimetière Christophe Colomb appliquait un système de paiement de concession. A contrario de ce que l’on connaît par chez nous avec un paiement de concession pour plusieurs années, le cimetière cubain demandait un renouvellement des concessions régulier et ce dés son ouverture en 1876. A raison de 10$ pour 5 ans, les corps étaient assurés de rester en terre. 10$ au XIXe siècle était un montant très important équivalent à 190$ actuels. Une coquette somme pour les cubains de l’époque. Si les cinq nouvelles années n’étaient pas payées, les corps étaient exhumés et placés dans une fosse commune ouverte, chose que l’on peut imaginer difficile à concevoir et à accepter pour les plus pauvres qui perdaient alors la trace de leurs proches dans ces amoncellements d’ossements. La nécessité d’ouvrir le cimetière de Colon pour les cubains a été accentuée au XIXe siècle par les grandes épidémies sur place et en particulier celle du Choléra qui avait touché tellement de personnes que le cimetière de La Havane initial, le cimetière Espada, dû fermer ses portes afin qu’une nécropole plus grande soit ouverte. Durant les vingt premières années de vie du cimetière, les corps continuèrent d’affluer, et par conséquent à s’amonceler en cas de non paiement. Épidémie, pauvreté, traite négrière encore en activité, travaux difficiles aux champs et le tournant politique majeur du XIXe siècle pour Cuba : Tout d’abord la guerre des dix ans de 1868 à 1878  face aux colons espagnols puis le début de la guerre d’indépendance cubaine en 1895 qui dura jusqu’en 1898. On est alors à l’aube de grands tournants dans l’histoire cubaine et ce même au niveau des populations avec le combat pour l’abolition de l’esclavage, l’obtention des droits civiques pour tous les citoyens et leur indépendance. Comme pour tout conflit sur un territoire menant à la prise des armes, les morts sont en nombre plus important qu’à l’accoutumée.

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Inspection et décompte des morts de la guerre d’indépendance avec de multiples causes de mortalité dont l’une des plus importantes : La malnutrition. Il la photo n’est pas un souvenir au contraire des autres. Un anthropologue judiciaire avant l’heure.

Pourquoi et comment des hommes sur des piles de crânes ont été immortalisés ?

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USS Maine

Ces “souvenirs” d’époque ont été immortalisés dans un cadre bien spécifique : celui de la guerre hispano-américaine ou désastre de 98. D’Avril à Août 1898, l’Espagne et les Etats-Unis sont en guerre, et au milieu il y a le peuple cubain qui lui veut toujours son indépendance et qui se révolte tant contre les espagnols qui les traitent mal et qui en parallèle rejettent les États-Unis qui ont, quelques années auparavant imposé un droit de douane très élevés sur le sucre, production principale de Cuba à l’époque. Alors que les américains en amont du début de la guerre hispano-américaine ont envoyé un navire de guerre à Cuba afin de protéger les ressortissants américains sur l’île en cas de révolte du peuple, le navire USS Maine explosa durant une nuit. Fous de rage, c’est suite à longs débats que les espagnols furent accusés sans preuves évidentes d’être responsables et que les Etats-Unis exigèrent des espagnols un départ de Cuba. Face au refus de ces derniers la guerre débute.

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Cubains portant le drapeau en 1898

En termes de gestion des hommes, c’est compliqué pour les deux pays. Les Espagnols ont des problèmes dans toutes leurs colonies, leur armée n’est plus si brillante qu’avant en comparaison avec les illustres batailles navales dans lesquelles ils se sont imposés dans le passé. Les Etats-Unis sortent depuis plusieurs années de la guerre de Sécession, mais l’armée a perdu énormément d’hommes. Face à ce manque de militaires professionnels, les dirigeants américains décident d’envoyer des novices, volontaires ou non avec du matériel en mauvais état et un costume en laine épaisse non adaptée à des combats sous un climat cubain. Ils sont tout de même accompagnés par quelques vétérans qualifiés. En parallèle de ce qui se déroule à Cuba, les Philippines sont sous contrôle de l’Espagne et des combats se déroulent également entre américains et espagnols. Il faudra attendre le mois d’Août 1898 pour que l’Espagne accepte un traité de paix. En Décembre de la même année, le traité de Paris est alors signé : L’Espagne reconnaît l’indépendance de Cuba (qui sera en réalité sous protectorat américain avec une poursuite d’ingérence jusqu’en 1934), cède les Philippines, Porto Rico et Guam contre 20 millions de dollars.

Les batailles navales se déroulent en parallèle des batailles terrestres.

Durant ces grands changements politiques, les soldats américains étaient stationnés sur l’île tant pendant la guerre qu’après pendant un certain laps de temps au tout début du XXe siècle. C’est pendant leur temps libre qu’ils découvrent donc La Havane et en particulier cette curiosité macabre du cimetière de Colon avec ses centaines de milliers d’ossements. La photographie reste un luxe à l’époque et pourtant aux Etats-Unis on ne rechigne pas à immortaliser des scènes particulières comme les enterrements ou encore les personnes décédées. Là bas aussi, les habitants sont habitués à la mort puisque les guerres et les maladies font qu’elle est de partout. Ces photos sont alors une façon d’immortaliser la visite du cimetière et d’envoyer un souvenir aux proches restés au pays. Dans les archives photographiques du XIXe au cimetière Colon, il n’y a pas à ma connaissance de photos avec des cubains posant sur les corps. A part une photo qui concerne deux cubains qui déplacent des ossements, toutes les photos concernent des militaires américains. Qu’est devenue la pile d’os ? Nous ne savons pas précisément, il n’y a pas de trace précise de ce qu’il est advenu de tous ces os. Enterrés, broyés, brulés, les hypothèses sont nombreuses. Une étude d’archive plus poussée sur place permettrait de retrouver des éléments sur l’ossuaire en question.

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Cubains en train de déplacer des corps

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Et aujourd’hui ?

Le cimetière est actuellement classé comme monument national et abrite 800 000 âmes dans différents types de sépultures selon les classes sociales, des mausolées aux tombes les plus simples, le cimetière permet une véritable découverte d’un point de vu historique et architectural. La pile de squelettes n’existe plus mais a été remplacée. En effet, les cubains les plus riches peuvent se permettre de payer les concessions bien plus longtemps que les personnes les plus pauvres. Face au manque de place dans le cimetière et si les concessions ne sont plus payées pendant 6 ou 8 ans environ, les os sont alors sortis et entreposés dans des boites, des bones box dans les sous sols du cimetière ou dans des mausolées. Cela est également payant. Si les familles ne peuvent toujours pas payer, les os sont jetés à la poubelle. C’est là que la chose est très choquante et choque également les habitants cubains car ce n’est tout simplement pas concevable de voir les défunts dans ces conteneurs à déchets (attention présence d’os)

Et pourtant la réalité économique est là  : Les cubains les moins fortunés ne peuvent pas payer les 30$ par an demandés (le salaire en 2018 était hors aides gouvernementales situé aux alentours de 30$ par mois). Il y a une véritable lassitude pour les cubains de voir les corps à l’air libre dans ces conditions. Les habitudes concernant le cimetière et ses conditions d’inhumation n’ont donc pas tant changé que ça. Il n’empêche que les gardiens du cimetière qui sont nombreux sont aussi chargés de s’occuper des boites. Les touristes peuvent visiter le cimetière en payant l’entrée et peuvent bénéficier d’un guide pour découvrir cet immense cité des morts.

Les tombes sont alors visitées pour rendre hommage aux défunts bien pour quelques prières spéciales. Les cubains n’ont pas à payer l’entrée au cimetière a contrario des touristes. Il y a une tombe qui attire les cubains, la tombe de celle que l’on appelle la Milagrosa, la miraculée. Cette jeune maman de 23 ans morte en couche d’un bébé décédé a été enterrée avec le petit à ses pieds comme le voulait la coutume par un mari en grande souffrance et ayant les moyens de lui offrir une sépulture dans le cimetière. Puis une dizaine d’années plus tard, le père de cet homme décède. Le tombeau est ouvert et les corps de la maman et du bébé ne se sont pas décomposés et le bébé repose dans les bras de sa mère et non plus à ses pieds. Cette annonce et ces constatations sont alors très prises au sérieux par les cubains. Pendant les 40 années suivantes, le papa venait une ou plusieurs fois par jour sur la tombe. Il tapait trois fois sur la tombe pour signifier sa présence et repartait à reculons sans jamais tourner le dos. Aujourd’hui, les pèlerins viennent demander des miracles à la maman et respectent le rituel des trois coups et du départ à reculons. Chaque miracle exaucé se voit remercié par une plaque commémorative ou des petits cadeaux. Une histoire triste et qui pourtant est la plus célèbre de la nécropole.

Ainsi s’achève cette présentation du cimetière le plus célèbre de Cuba. Peut-être le connaissiez vous et l’avez visité suite à un voyage?

Je vous remercie de votre lecture.

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Cazes Juliette

Sources :

Dyal, Donald H; Carpenter, Brian B.; Thomas, Mark A. (1996). Historical Dictionary of the Spanish American War. Westport: Greenwood Press
Bahamonde Magro, Ángel y Cayuela Fernández, José Gregorio, Hacer las Américas. Las elites coloniales españolas en el siglo XIX. Alianza Editorial, 1992
https://www.atlasobscura.com/places/colon-cemetery
https://www.findagrave.com
BAHAMONDE MAGRO, Ángel y CAYUELA FERNÁNDEZ, José Gregorio, Hacer las Américas. Las elites coloniales españolas en el siglo XIX. Alianza Editorial, 1992
Ser sepulturero en el Cementerio de Colon
Restos oseos a la intemperie en Cementerio de Colon
Images : Libres de droit
Images des charniers : Pinterest

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