Danses des squelettes dans le monde : Tour d’horizon d’une pratique singulière.

Lorsque l’on aborde le sujet des squelettes et de la danse, la première pensée va aux danses macabres médiévales, motif particulier hautement symbolique que l’on retrouve dans le mouvement de l’art macabre.

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Puisque cet article n’est pas orienté sur ce sujet mais qu’il est important de l’évoquer pour introduire le reste, je vous propose la lecture du site de l’Association des danses macabres d’Europe. Le XVIIIe congrès d’études sur l’art macabre s’est déroulé en Mars 2019 pour ce qui est de l’actualité récente sur la thématique. Dans cet article, je vais aborder la tradition encore vivace de représenter la mort et les squelettes dans les danses et/ou costumes dans plusieurs endroits du monde. Ces traditions se retrouvent encore sur presque tous les continents et se traduisent de différentes façons. Ici je vais bien distinguer les danses du cadre funéraire (sans forcément de costume en lien avec la mort) des représentations du squelette dans le cadre de danses non funéraires. Ici les danses ne sont pas liées à des funérailles, elles interviennent à des moments clés du calendrier. La seconde image la plus récurrente en abordant le sujet est bien sur la tradition du costume de la Catrina au Mexique pour El dia de los muertos.

Mais le costume de squelette n’est pas isolé et n’est pas cantonné qu’au Mexique, loin de là. L’un des seuls points communs entre tous les cas présentés est le rappel de la fugacité de la vie, une sorte de Memento Mori en mouvement.

La danza de la Muerte, Espagne, Catalogne

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Lors de la semaine Sainte, un moment très important pour les chrétiens se déroulant avant la Pâques, les prières et rappels de la Passion du Christ et de sa fin de vie ainsi que sa résurrection sont au cœur des célébrations. A Gérone en Catalogne, la procession de Verges est un moment important du folklore et de la préservation de la tradition locale incluant la danza de la muerte. Cette danse est pratiquée par des jeunes garçons et des plus âgés costumés en squelettes, justaucorps et masque inclus, cousus par quelques femmes du village et faits sur-mesure. La procession est l’occasion de regrouper habitants, touristes et croyants pour la semaine sainte. La danse des squelettes se pratique le Jeudi de la semaine en question qui correspond à la veille du Vendredi Saint où l’église est en deuil.

L’arrivée des danseurs ayant pour mission un rappel très utile, celui du Memento Mori occasionne un silence particulier dans l’assemblée et les joueurs de tambours débutent en rythme leur musique afin d’accompagner la danse des squelettes de nuit. Les cinq danseurs (3 adultes/grands adolescents et 2 enfants) vont débuter leur chorégraphie. Disposés de façon à former une croix, ils vont se mouvoir en demi cercle à chaque tonalité. Seul le danseur portant la faux avec l’inscription “Nemini Parco” rappelant que la Mort n’épargne personne, va se mouvoir en faisant un cercle complet. Les autres danseurs vont porter des éléments symboliques : Un bol de cendres, un cadran d’horloge sans aiguilles, un drapeau avec la même inscription que sur la faux. D’autres hommes costumés en squelettes mais portant une cape violette vont défiler derrière le joueur de tambour en portant des cierges épais. Tous sont costumés en squelette également. Ils vont ainsi défiler jusqu’à l’intérieur de l’église de la ville et se prosterner devant l’autel à la fin de leur procession.

Le choix pour les enfants de participer à la procession en représentant un squelette reste le résultat d’une volonté propre et vient d’un intérêt pour la conservation des traditions locales. Cela n’est pas étrange pour eux, c’est même un moment extrêmement important de l’année pour lequel ils vont s’entrainer très dur. L’origine ou du moins la survivance de cette tradition est interprétée de façon très différente selon les habitants. Pour certains il s’agit d’un héritage médiéval, pour d’autres, une tradition directement issue de la guérison des habitants de la ville au XIVe suite à la peste. La tradition attestée d’un point de vue des sources non orales est une mention de la danse au XVIIIe siècle. Ce moment très particulier de la semaine sainte est également protégé car reconnu comme une fête d’intérêt national ce qui assure sa probable conservation et protection pour les années à venir, à condition que les enfants et adultes souhaitent toujours la pratiquer avec autant de ferveur.

Le Durdag et le Cham, la danse des seigneurs de la crémation

Direction le Bhoutan ce royaume bouddhiste situé à l’Est de la chaîne de l’Himalaya. Chaque année en Novembre se déroule un festival appelé Jambay Lhakhang Drup où vont se dérouler cérémonies et danses sacrées pleines de symboles au temple du même nom. Chaque danse va représenter diverses scènes et personnages du folklore et de la croyance bouddhiste. L’ouverture de ce festival débute par un feu où est brûlée une image peinte à la main d’un squelette symbolisant les forces négatives et permettant ainsi d’assainir l’atmosphère et assurer le bon déroulement du festival. Au cours de celui-ci, des danses et des processions vont s’enchaîner et la représentation de la mort se retrouve lors de deux danses particulières : Le Shinjey yab yum, la danse du seigneur de la mort et le Durdag la danse des seigneurs de la crémation. La première danse du festival est celle dédiée au premier seigneur mentionné car elle permet de purifier la zone de danse pour les prochaines représentations durant le festival. On retrouve donc toute une symbolique autour de Shinjey et surtout des éléments mythologiques en lien avec les combats menés par les protagonistes et dieux/déesses que l’on retrouve dans le bouddhisme et les traditions locales. S’en suivent plusieurs danses dont celle pour les mauvais esprits. Intervient ensuite le Durdag (maitres de la crémation) et ses masques représentant des crânes squelettiques. On retrouve beaucoup la symbolique du crâne dans le bouddhisme local que ce soit au Bhoutan, au Népal ou encore au Tibet voire en Inde. C’est un élément de croyance et de représentation très présent dans les temples et par conséquent sur les masques de divinités comme pour Shinjey et ici pour les seigneurs de la crémation. Ainsi, la figure du squelette se retrouve dans plusieurs danses qui ont lieu lors de festivals comme cela est aussi le cas au Tibet une fois par an.

La crémation étant le type de funérailles le plus utilisé dans les pays pratiquant le bouddhisme. Pour le Durdag, c’est le bouddhisme tantrique, vajrayāna ,  qui va apporter le plus d’éléments de réponses en termes d’interprétation et le rappel constant de la mort qui permet de réfléchir au sens de la vie terrestre. Les quatre danseurs représentent ces seigneurs et portent un costume composé de vêtements amples et colorés faisant référence aux papillons (le mot d’origine se traduit comme tel) et ils portent un masque en tête de mort surmonté d’une couronne elle-même symbolique de leur suprématie sur les forces naturelles.

Tibetan-Skeleton-DanceSouvent confondues, la danse des squelettes du Tibet est le Cham mais ces derniers ne seront que deux, joués par des moines en costume pour rappeler l’aspect éphémère de la vie. Ils sont également les protecteurs des cimetières et sont ainsi très intégrés dans l’iconographie au Tibet mais aussi au Népal. La danse est alors un moment qui est sacré et dont l’origine remonterait au VIIIe siècle en lien avec la mythologie et l’histoire. Des évènements complexes avec des portées symboliques très fortes dont la danse de Cham n’est qu’un minuscule aperçu. On peut alors retrouver la figure du squelette ou ressemblant dans divers panneau de danse lors des évènements de type festivals au Tibet, mais la complexité réside dans les détails des costumes, l’ordre des danseurs et autre. On retrouve la figure sous le nom de Citipata ou de Chitipati. Un sujet extrêmement compliqué à cerner et pour lequel des images aident à visualiser les éléments et l’organisation des chorégraphies. J’ai choisi de mettre des exemples de plusieurs pays, la première vidéo est au Bhoutan et la seconde au Tibet. On voit bien que les masques ne sont pas les mêmes même si ils représentent un squelette, les rôles et les symboles sont très différents au sein de plusieurs danses représentant pourtant les habitants de l’autre monde. Écoutez le rythme des musiques dans les vidéos, c’est très prenant.

Les Chimbu de Papouasie-Nouvelle-Guinée

CaptureSi la Papouasie-Nouvelle-Guinée (souvent abrégée PNG et à ne pas confondre avec la Papouasie Indonésienne) est constituée de nombreux peuples ayant des similitudes et des différences, c’est vers les Chimbu ou Simbu vivant dans la région des hautes terres que nous allons nous tourner. La PNG est une zone du monde passionnante ayant regroupé bon nombre d’aventuriers et de chercheurs aventureux voulant découvrir les peuples locaux. On recense 800 langues sur place, ce qui fait du pays l’endroit avec le plus de dialectes différents dans le monde. L’histoire de ce pays et de l’implantation des premiers hommes, ancêtres des papous est absolument passionnante bien que complexe pour le néophyte. Les papous ont longtemps été assimilés au cannibalisme et surnommés les mangeurs d’hommes. La pratique du cannibalisme (ou de l’endocannibalisme, c’est à dire manger ses proches) a en effet été constatée chez certaines tribus comme les Fore par exemple ; Shirley Lindenbaum, ethnologue a beaucoup écrit sur eux et leur rapport à la viande humaine suite à sa vie avec eux en 1961. En soi, une telle pratique post-mortem ne peut définir à elle seule l’héritage papou dans sa globalité…
Pendant très longtemps, l’île était connue mais n’intéressait personne, pas même les colons et les explorateurs étrangers qui préféraient les Moluques en Indonésie pour leur commerce d’épices et de poivre. Alors la Papouasie n’était connue que par ses côtes, il faut attendre les années 1930 pour que ses habitants et ses terres soient plus documentées. C’est le cas pour les Simbu. La parure des papous en général est assez bien renseignée par les ethnologues et anthropologues du siècle dernier. La parure est un substitut, un complément du langage qui en un coup d’œil doit parler à celui ou celle qui l’observe et qui en a les codes culturels. Les Simbu et les peintures de squelettes faites de cendres et d’argile ont en plus du motif rappelant un sujet macabre, une symbolique puisque la cendre mélangée de l’eau ou de l’argile fait référence aussi au monde du funéraire, aux cendres du bucher. Ainsi, ils se peignent le visage et le corps mutuellement ou à l’aide du reflet dans l’eau récupérée dans une feuille ou dans un cours d’eau.

Alors, pourquoi ces peintures? Plusieurs idées semblent s’accorder même si il est très difficile de faire une chronologie précise de la pratique. Certains de la tribu parlent d’effrayer les fantômes des guerriers restés dans la forêt, il y a un culte des ancêtres très forts en Papouasie !  D’autres parlent bien sûr de peintures d’intimidation dans le cadre de conflits inter tribaux et relient ça aux combats qui avaient lieu régulièrement dans le passé. Dans tous les cas, il y a bien une symbolique liée à l’autre monde qui est nette de par le visuel. Pour découvrir les danses des peuples papous, c’est lors du festival du Sing Sing où les tribus vont se retrouver et ainsi pratiquer leur tradition une fois par an.

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Skulls and bones à la Nouvelle-Orléans

A 5 heures du matin, pour Mardi gras, les rues se transforment et sont arpentées par des groupes, des individus qui portent sur eux les marques de pratiques ancestrales. Faisant du porte à porte, ils réveillent les habitants pour transmettre un message. Ornés de leurs plus beaux costumes à l’image de squelettes faits de papier mâchés. Dans les années 90, la tradition vieille de 200 ans commençait à péricliter mais grâce à des passionnés, cette dernière a réussi à renaître. Les origines sont floues, on sait que cela date du XIXe pour la Nouvelle-Orléans avec des racines issues d’Afrique et bien sûr mélangées avec Haïti ou encore Cuba selon les personnes concernées par la tradition et le passif familial et culturel de ces derniers. Car la Nouvelle-Orléans est très intéressante en termes d’histoire. Évidemment, la Nouvelle-Orléans est aussi une ville qui a une relation très particulière avec la mort de par les origines multiples des habitants et de leurs ancêtres. La ville est est très réputée pour son syncrétisme religieux remontant plusieurs siècles en arrière avec le mélange de pratiques catholiques et le mélange de croyances comme le vaudou venu d’Afrique Noire directement ou ayant transitées par les Caraïbes au fil des mouvements de personnes. Il n’est donc par rare à Mardi Gras de voir figurer quelques mentions des croyances vaudoues comme le Baron Samedi (en lien direct avec les morts) et sa femme Maman Brigitte (qui protège les tombes surmontées d’une croix). J’y reviendrai dans mon ouvrage à venir. Des archives parlent des personnes costumées squelettes pour la fin XIXe et début XXe ce qui montre qu’il ne s’agit pas que d’une chronologie rapportée de façon orale. Ainsi, plusieurs gangs arpentent les rues pour Mardi-Gras préparant leur costume l’année précédente révélant leur création au monde ce jour là. Les gangs parlent lors de leurs déambulations aux plus jeunes les avertissant sur les dangers de la violence et des jeux à base d’armes à feu ; je le rappelle, Bâton Rouge en Louisiane, le même état que la ville de la Nouvelle-Orléans, est considérée comme une des villes les plus violentes des US. C’est le cas du gang nommé North Side Skull & bone gang qui prend très à cœur la transmission de leur message. Puis d’autres gangs ou crews/krewe se sont montés au fil des années passant par d’autres zones de la ville et arborant des costumes différents d’un groupe à un autre et des traditions différentes également.

Merci à Manning Krull d’avoir répondu à mes questions sur le sujet !

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North Side Skull and Bones Gang
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Skeletonkrewe.com

J’espère que cet article vous a plu, qu’il vous a éventuellement appris des choses ! Si vous connaissez d’autres danses des squelettes n’hésitez pas à le dire en commentaire 😀 je suis sure que les autres lecteurs seront ravis de le savoir.

A bientôt !

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Sources :

– Livre des morts tibétain
– https://ich.unesco.org/fr/RL/les-fetes-indigenes-dediees-aux-morts-00054
– A Judeo-Spanish Version of the Danza de la muerte Michelle Hamilton
– Simbu Paths to Power: Political Change and Cultural Continuity in the Papua New Guinea Highlands \Villiam Austin Standish
-Note on the Reincarnation Beliefs of the Gumini People of the Simbu Province of Papua New Guinea Joan D. Johnstone
– Neworleans.com
-https://www.bhutanculturalatlas.org/1018/culture/intangible-heritage/religious-festivals-ceremonies-rituals/trongsa-tshechu/
– https://www.buddhistdoor.net/features/tibetan-book-of-the-dead-part-two-the-hour-of-our-death
– https://www.lugaresconhistoria.com/danza-muerte-verges-gerona
-http://www.cultofweird.com/culture/tibetan-skeleton-dance/
– Guides de voyages des destinations

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