Les ekraventuphiles funéraires : les collectionneurs d’éventails de maisons funéraires aux Etats-Unis

Si le monde des collectionneurs est extrêmement vaste, aux Etats-Unis se trouvent des collectionneurs particuliers : les ekraventuphiles funéraires. Ces derniers collectionnent les éventails publicitaires donnés dans le passé aux clients qui venaient visiter leur mort et assister à une cérémonie.

Pour mieux comprendre pourquoi les éventails sont des objets à forte teneur funéraire aux Etats-Unis, il faut d’abord se pencher sur l’endroit où ils étaient initialement utilisés là bas : dans les églises. Un objet qui possède plusieurs niveaux de lecture si l’on peut dire : objet représentatif de la pratique religieuse des afro-américains au XIXe et XXe siècle, objet publicitaire à destination des communautés blanches et noires aux Etats-Unis. Et enfin, objets de collection vintage pour les personnes issues de ces deux communautés. Des objets qui intéressent pour diverses raisons, mais qui rassemblent un type de collectionneurs uniques au nom presque imprononçable.

Le recto religieux – En vente sur Ebay
Le Verso : la publicité pour une entreprise d’ambulances et pompes funèbres. Il n’est pas rare même en France de voir des services d’ambulanciers et de Pompes Funèbres au même endroit.

Offices religieux = chaleur insupportable

Il faut revenir à l’époque où les églises n’étaient pas dotées d’air conditionné. L’éventail fait de palme était un accessoire indispensable. L’heure ou plus d’office pouvait alors devenir un calvaire et l’éventail devenait un accessoire majeur pour éviter un malaise. Bien sûr, en pleine époque de ségrégation raciale aux États-Unis, pendant longtemps les églises pour blancs et les églises pour noirs faisaient face au même problème de chaleur. Pour autant, à partir des années 1950, les églises pour blancs se voyaient dotées de plus de confort de façon généralisée grâce à l’air conditionné tandis que les églises pour noirs avaient beaucoup plus de difficultés à accéder à ce confort. Ainsi, l’éventail d’église, le Church fan comme il est appelé, est resté un symbole (et l’est toujours) en lien avec la pratique religieuse des communautés afro-américaines et en particulier au Sud du pays. Un symbole qui s’apparente à la religion catholique et à sa pratique, mais aussi au protestantisme évangélique. Il s’agit donc un objet usuel mais qui possède une forte identité pour les noirs américains. Ici un intéressant article de Perresia Cortez sur des Church fans remis au goût du jour. Sur les modèles d’église, il est possible de retrouver une image religieuse et à l’arrière de cette dernière des textes religieux également ou des citations. Tout est là pour rappeler à l’usager lors de ses prières et de sa dévotion, les raisons de sa présence et son intention dans des lieux où l’accessoire en question devient indispensable.

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Femmes de la communauté noire avec leurs éventails d’église. Auteur inconnu – vers 1950

L’éventail, signe de l’esclavagisme

Outre le symbole très proche entre l’éventail et la ségrégation, il est à noter que la communauté afro-américaine n’a pas une histoire unique avec les éventails d’église. En dehors de ces derniers, signe de chaleur et de manque de confort dans leur lieu de culte, il y a un autre type d’éventail qu’il me semble important de mentionner en aparté avant de retourner aux éventails publicitaires. Il s’agit du punkah qui est un éventail de maison qui vient d’Inde et qui est utilisé souvent dans les pièces à vivre et ce depuis le VIe siècle avant notre ère en Asie. Ce dernier était fixé au plafond et manipulé par le punkah-wallah qui était le grand serviteur. Le punkah s’est dispersé rapidement dans le monde et il s’est retrouvé dans les maisons de blancs aisés ayant esclaves à proximité pour rafraichir leur intérieur. Le punkah pouvait être installé en plusieurs exemplaires pour rafraichir les convives à table lors de repas mondains. Et bien entendu, aux Etats-Unis, ces punkah étaient actionnés par des esclaves noirs. Le punkah reste pour autant un symbole du colonialisme en Inde puisque les colons appréciaient d’avoir le punkah pour les aérer actionnés par des locaux.

A watercolor drawing depicts a dinner party held in Giles County, Virginia. An enslaved woman and boy serve food and drink, while a third slave controls the punkah fans.
The party at supper & breakfast, Chapmans Springs, Lewis Miller 1853

Pour ce qui est du punkah des plantations aux Etats-Unis, la chercheuse Dana Byrd de Bowdoin College a lancé The Punkah Project pour répertorier les punkah toujours visibles en maisons coloniales afin d’étoffer les recherches sur ce sujet. En effet, les esclaves activant les punkah se retrouvaient dans une position difficile mais qui pouvait sembler avantageuse : ils entendaient les conversations et en particulier celles qui concernaient l’avenir de la plantation et par conséquent leur avenir également. Ils apprenaient également les codes de conduite de la haute société pour pouvoir éventuellement espérer s’affranchir ou avoir des tâches moins pénibles au sein de la plantation. Ainsi, le punkah et par la suite l’éventail possèdent une forte connotation en lien avec l’esclavage aux Etats-Unis.

Tallwood house in Green Mountain, Virginia.
Tallwood, Green Mountain, Albemarle County, Virginia 1932

L’éventail publicitaire funéraire

Cet objet utilisé par toutes les communautés avant l’installation de l’air conditionné est un véritable atout publicitaire. Et cela, les maisons funéraires et les compagnies d’assurance l’ont vite compris. Et oui, la réclame et par la suite la publicité sont en pleine émergence au début du XXe avec dans les années 30 une poussée des métiers dans ce domaine. Le tout pour engager toujours plus de consommation et drainer les clients. Dans le domaine des pompes funèbres, les États-Unis ont déjà vécu de grands bouleversements suite à la guerre de sécession qui a demandé de faire preuve d’innovation tant au niveau des soins de conservation que du transport des morts au combat sur de longues distances. J’évoque cet élément dans ma vidéo sur les cercueils Fisk à retrouver sous ce paragraphe. Les publicités dans la presse ou sur papier volant existent pour les maisons funéraires dans le pays avec une imagination débordante comme il est possible de le constater sur la publicité de 1927 ci-dessous qui ravira les adeptes d’histoire antique. C’est un domaine à l’époque qui ne se voit pas freiné par des lois en lien avec leurs stratégies publicitaires. Ainsi, les supports pour la réclame de la part des Funeral homes (les maisons funéraires) sont très variés. Le journal, les publicités de rue et les éventails d’église ou distribué lors des funérailles au sein de la maison sont des supports privilégiés.

Pompes funèbres Murchison – 1927 publicité dans le journal local.

Les pompes funèbres américaines pouvaient ainsi mettre en avant leurs qualités dans les journaux afin de drainer du public dans leur athanée. C’est tout naturellement que les éventails que l’on retrouvait dans les églises se sont transformés petit à petit en support publicitaire. L’intérêt était double puisque l’éventail était utilisé lors des funérailles et pouvaient alors s’apparenter à ce que nous nommons maintenant des “goodies” autrement dit des cadeaux publicitaires. Car la réputation d’une maison funéraire se fait principalement (et toujours) par le bouche à oreille à propos de sa qualité bien que la publicité soit un atout considérable pour la faire connaître du grand public. D’ailleurs, les maisons funéraires aux Etats-Unis sont très différentes des salons funéraires en France puisqu’il s’agit de véritables maisons de plusieurs étages parfois avec des salons gigantesques et bien souvent recouverts de moquette et de tapisserie. Des lieux où les gens veillent mais célèbrent le défunt à grand renfort de repas et de nourriture sous forme de buffet.

Modèles vintage en vente sur Ebay
Éventails d’une maison funéraire du Kansas – Ebay

Les formes de ces éventails se déclinent en deux versions : la version bâtonnet de bois avec la partie à vent de l’éventail imprimée, ou bien la forme en triptyque qui se replie comme ci-dessus pour un transport facilité. Les motifs peuvent alors varier selon le choix de la maison funéraire qui a lancé la fabrication à l’époque. Des modèles qui pouvaient changer quelques fois par an permettant de varier la publicité mais aussi en faire, déjà à l’époque, un objet à collectionner.

Les éventails publicitaires au XXIe siècle

Si la majeure partie des établissements et des églises sont désormais équipés d’air conditionné, l’éventail peut toujours se retrouver dans les mains des vivants à l’heure actuelle puisqu’il n’est pas rare d’en croiser quelques uns dans les offices religieux malgré tout. Pour autant, l’éventail funéraire a changé de fonction. En effet, le vintage est désormais collectionné, les adeptes parcourent les antiquaires aux Etats-Unis ou encore Ebay et Etsy partout dans le monde via internet. Cette petite niche de collectionneurs bien spécifique est tout de même bien présente dans le paysage du milieu funéraire. En termes de prix, il faut compter une vingtaine de dollars et parfois plus selon la rareté de l’objet : l’éventail publicitaire répond aux mêmes exigences que n’importe quel objet de collection. Les collectionneurs sont alors aussi bien des personnes blanches que des personnes noires. Il n’y a plus de différences ou presque. La seule réside dans le fait que l’éventail au niveau de ses origines reste un symbole de la communauté afro-américaine et qu’il est aussi un symbole important de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Ainsi, cet objet marqueur social est devenu intéressant pour des collectionneurs issus de tous horizons et toutes origines sans distinction.

Les maisons funéraires ne proposent que très rarement des éventails maintenant. Les églises continuent en revanche et de nombreuses personnes apprécient avoir leur éventail personnalisé au quotidien. Pour les maisons funéraires et pompes funèbres, leur publicité est assurée autrement. Mais l’éventail funéraire existe toujours puisqu’il s’agit d’un incontournable de cérémonie d’au revoir. De nombreux DIY (Do It Yourself) sont proposés sur le web pour confectionner son éventail. L’intérêt ? La personnalisation afin de pouvoir l’offrir aux convives lors des funérailles d’un être cher. Photos, dates de naissance et de mort, biographie ou prière, tout peut se décliner selon les souhaits de la famille et la personnalité du défunt.

L’éventail fait maison est ainsi décliné aussi bien pour les funérailles que les anniversaires, les mariages ou encore les baby showers outre-Atlantique. J’avais envie de vous proposer un petit tutoriel pour apprendre à faire ce type d’éventail à la maison si vous êtes créatif. Ici c’est dans le cadre de funérailles, mais vous pouvez vous en servir pour l’évènement de votre choix ! Voici quelques illustrations faites par mes soins pour vous aider.

Une fois le papier imprimé et designé, il suffit de le plier en son centre pour obtenir deux faces A5. Disposez le bâton du côté non imprimé en le fixant au centre d’une des demi-page, et collez les deux faces non illustrées l’une avec l’autre. Vous obtiendrez un éventail imprimé, illustré et personnalisé. Vous pouvez pour accessoiriser le bâton mettre un petit nœud. Les plus habiles pourront même tenter la pyrogravure !

Pour vous aider, je vous mets ici une vidéo qui est explicative dans le cadre d’éventails de mariage mais vous saisirez l’idée.

Enfin, pour terminer cet article sur l’utilité dans le passé et présentement des Funeral Fans (éventails funéraires) je souhaitais partager la remise en peinture d’éventails funéraires par Christine McConnell qui a acheté un lot d’éventails vintage. Elle les a remis à son goût grâce à de la peinture à l’huile et j’ai trouvé l’idée intéressante également.

J’espère que cet article vous a plu et qu’il a été à l’origine de quelques découvertes pour vous. On peut constater que cet objet millénaire possède aux US un rôle presque politique mais qu’il est également à l’image de l’évolution de la société. Entre le XIXe et le XXIe siècle, ses usages ont changé, son symbole est resté et il est devenu un objet particulièrement apprécié tant par certains collectionneurs d’éventails que les collectionneurs d’objets de maisons funéraires.

A bientôt,
Juliette

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Sources :
https://www.materialreligion.org/objects/apr98obj.html
https://www.popularmechanics.com/home/a7951/history-of-air-conditioning/
https://blacksouthernbelle.com/black-church-hand-fans-we-love/
http://myauctionfinds.com/2014/07/23/a-time-when-hand-fans-cooled-church-goers/
https://www.fannincountyhistory.org/fans-from-black-funeral-homes.html
O’Barr, William M. “A Brief History of Advertising in America.” Advertising & Society Review, vol. 6 no. 3, 2005. Project MUSE, doi:10.1353/asr.2006.0006.
https://learninglab.si.edu/search?st=black+history&st_op=and&item_type=collections&s=relevance
Brunner, Edmund D. Church Life in the Rural South (1923) pp. 80–92, based on the survey in the early 1920s of 30 communities across the rural South
Sobel, M. Trabelin’ On: The Slave Journey to an Afro-Baptist Faith (1979)
Paris, Peter J. The Social Teaching of the Black Churches (Fortress Press, 1985)
https://research.bowdoin.edu/punka-project/

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